vendredi 7 octobre 2011

C’est dans les vieux pots…


Voilà-t-y pas qu’en allant fouiller dans les combles de sa luxueuse demeure (dont la localisation reste évidemment secrète) Max Granvil retrouve un texte publié par lui jadis et ailleurs. 
Passé l’instant d’égarement où il donne libre cours à l’intense émotion qui le submerge, quand les larmes ont fini de couler sur ses joues émaciées couvertes d’une courte barbe taillée avec soin (il est comme ça, EmGé : émotif et méticuleux, faudra vous y faire), il se dit comme ça : « Té, peuchère, cong : ce texte il est encore vachement actuel, pétard ! Pourquoi que je le livrerais pas en pâture à ce publikémé — oui, toi, Brian ! Toi, Samantha ! — qui m’adule et me révère ? Hein, pourquoi ? ». 
Aussi taudis, Ô site, Ô fée : un coup de breuchingue au texte exhumé et le voilà  sous tes yeux, lecteur. Repais-toi et surtout mastique bien : EmGé fournit le (second) couteau. La fourchette et la cuillère sont à ta charge. Ça s’appelle justement…

Éloge des seconds couteaux



 

                     Le monde du jazz d'aujourd'hui — du moins les non musiciens (critiques, amateurs, promoteurs, managers ...) qui gravitent autour de ses créateurs — passe une partie de son temps à regretter l'absence de figures majeures, à attendre le(s) messie(s) à venir ou à en introniser hâtivement. "Prophètes" ou "divas", "dieu(x) du piano" ou "alto(s) le(s) plus swinguant(s) de la planète" et autres "surdoués" apparaissent et disparaissent ainsi sous la plume des critiques, des attachés de presse et des rédacteurs de programmes de festivals au fil des ans et des saisons. Rassurante (?) pour un public en quête de prêt à penser et à écouter, cette nomenclature dithyrambique est aux antipodes de la réalité du terrain et de l'esprit du jazz. 
Il a certes toujours existé un panthéon dans ce domaine, auquel ont successivement accédé — et sans s'exclure — des King (Oliver, Cole), Duke, Count, Empress (of the blues), Prez ... mais leur grade leur était attribué par leurs pairs, et les fans le plébiscitaient ensuite. Par ailleurs cohabitaient avec ces figures séminales objectivement à l'origine d'un style ou d'une évolution, d'autres, tout aussi reconnues pour les mêmes bienfaits, mais pourvues de surnoms a-hiérarchiques — si tant est que les titres des premiers aient eu une quelconque valeur en termes de rang — tels que Satchmo, Lady Day, Bean, Klook, Dizzy, Bird ... Enfin d'autres bénéficiaient de surnoms à valeur ambiguë comme Fatha (Earl Hines), Papa (Jo Jones) — mais qui, alors, était le Grand-Père? —, Little Giant (Johnny Griffin) — qui était le Grand Géant? — ou The Sound (Stan Getz, que personne n'oserait considérer comme étant le seul à avoir/être LE son).
Et, justement, cette terminologie n'était-elle pas avant tout une façon de reconnaître à chaque musicien digne d'intérêt une spécificité en termes de sonorité (The Knife : Pepper Adams),

de jeu (Trane : Coltrane), de "hipness" (Newk : Sonny Rollins), ou une manière de circonscrire métaphoriquement l'essence de son être (Big Ben : Ben Webster ; Bird, encore ; Little Giant, éventuellement...).

À ce titre tout musicien — surtout les seconds couteaux ou petits-maîtres — pouvait, à un moment de sa carrière, se voir accepté et reconnu dans sa spécificité sans que cela induise obligatoirement l'attribution d'une place dans la hiérarchie. On a vu que cette dernière n'était pas le souci principal. De plus le gravissement des échelons n'était pas envisageable, les "places" étant attribuées à titre définitif. Ainsi Paul Quinichette resterait éternellement le Vice-Prez, titre d'honneur à sa mesure, et non pas grade de sous-fifre par rapport à Lester Young.
            Et voilà bien ce qui nous manque aujourd'hui : cette aptitude à mettre chacun à sa place sans faire jouer une concurrence illusoire et stérile. Est-ce grave, Docteur ? Oui, mais pas irrémédiable. Car la perte de cette faculté est le symptôme de la disparition progressive d'une culture et d'une capacité d'écoute sélective et discriminatoire mais ouverte. Quand on a — et tant qu'on avait — dans l'oreille le son, le phrasé, le toucher, le grain... de chacun et en mémoire le son, le phrasé, le toucher, le grain... de ses pères, ses mères, ses frères et ses sœurs Oh oh ! C’était le bonheur… car en fait c'est ça, la culture ! Quand on a tout cela, on peut classer chacun dans sa catégorie en fonction de sa spécificité sans avoir obligatoirement à juger ou à hiérarchiser car ce n'est pas une nécessité intrinsèque : on aime ou l’on n'aime pas ; on est ou non sensible. ça, c'est la capacité d'écoute ouverte qui se perd de plus en plus — Ô Maja, Maja, qu’allons-nous devenir? http://blogdegarenne.blogspot.com/2011/09/dans-la-serie-le-hachoir-et-la-bedide.html — dans les avenues bien tracées des playlists TSFIPencéphalogrampla et autres bestof2lafnakabobos.
L'exercice de cette faculté d'écoute et de classement est jubilatoire : quel pied quand, fan semi débutant, on prend conscience, l'oreille collée à la radio ou au baffle, du fait que l'on ne confondra plus jamais Coltrane et Rollins dans « Tenor Madness », http://fr.wikipedia.org/wiki/Tenor_Madness ou que l'on discerne à merveille ce qui sépare Bill Evans de Wynton Kelly selon les plages de "Kind of Blue" http://fr.wikipedia.org/wiki/Kind_of_Blue
Cette faculté d'écoute et de classement est aussi la fierté légitime de l'amateur éclairé, sanctionnée par son degré d'aptitude au redoutable et jouissif "blindfold test". Mais qui pratique encore ce jeu haut de gamme ?
Cette capacité d'écoute et cette culture sont essentiellement personnelles. Indépendantes du savoir enseigné dans les "écoles de jazz" et de la connaissance des "chefs d'œuvres" et des "maîtres" universellement reconnus, elles sont indispensables aux amateurs comme aux musiciens. Elles établissent entre eux un lien de complicité et constituent un pôle d'identification communautaire. Elles sont une garantie de longévité du microcosme (sans sens péjoratif : les amateurs de grande cuisine ou de grands vins seront toujours une minorité — ce qui ne veut pas dire une « élite » —, que ça plaise ou non à certains). Elles sont un rempart contre l'obscurantisme et les fausses valeurs. Elles sont une monnaie d'échange symbolique dans le commerce des goûts et des couleurs. Elles sont des ports d'attache ou des sources d'accrochage dans le ballet des points de vue. Bref, ce sont les mamelles auxquelles se nourrit la passion du jazz, et il est encore possible de s'y ressourcer si on aborde ces rivages avec enthousiasme, courage, humilité, sans peur et sans reproche.
Sans cette capacité d'écoute et cette culture, en effet, l'amour de la musique de jazz n'est qu'une toquade vide de sens et sans avenir, soumise au vent des modes, aux approximations et exagérations des promoteurs intéressés et des critiques "autorisés".
Et comment mieux développer cette capacité et acquérir cette culture qu'en s'affûtant les oreilles à l'écoute des seconds couteaux d'hier et d'aujourd'hui ? De ces inestimables et inimitables "petits-maîtres" qui, en peaufinant leur art et leur manière, ont fait, font et feront découvrir à nos tympans avisés les couleurs de l'arc-en-ciel.






                       


mercredi 5 octobre 2011

«L’art est public, Françoise! »


Et voilà-t-y pas que Blog de Garenne vous propose une nouvelle rubrique :  «L’art est public, Françoise! ». Une rubrique gratoche, passionnante, truffée d’infos zinédites et croustillantes sur l’image que notre belle nation donne d’elle-même à l’étrange et… 
Aujourd’hui : La France en Corée… toujours (ou toujours et encore, si tu préfères, honorable lecteur).

Le Jarasum Jazz Festival (huitième édition) www.jarasumjazz.com/the8th/home a lieu début octobre sur une île au milieu d’une rivière, à moins de deux heures de voiture au nord-est de Séoul (si ça roule bien, et en ce long week end férié c’est loin d’être le cas). En tout cas le festival est une sympathique attraction populaire organisée avec un remarquable professionnalisme : environ 15 000 spectateurs, moyenne d’âge autour de 20-30 ans (largement en-dessous de ce qu’on constate en Europe de l’Ouest, mais la lointaine Asie est jeune, on le sait).
On campe sur place et on allume des lampions qui s’envolent dans la nuit frisquette, on s’amuse, on casse la graine, on picole gentiment de la bière locale, du vin de riz local, du vin de vigne issus de cépages austraux plutôt qu’occidentaux (eh oui, c’est loin l’Europe, vu d’ici), et on écoute du jazz de tous les pays, de toutes les tendances (hormis le New Orleans et le free pur et dur) avec une dominante jazz-rock soft et easy listening. 

C’est que le pays est jeune dans ce domaine, mais curieux et avide de découvertes. Et parmi ces découvertes, deux groupes français. Deux trios, aux antipodes l’un de l’autre. A ma droite le Trio d’en bas : jeune, en tournée estampillée Spedidam www.spedidam.fr/, Institut Français www.institutfrancais.com/, Languedoc Roussillon Réseau en Scène http://www.reseauenscene.fr/. A ma gauche le trio de Marc Ducret : seize ans de vie commune, estampillé « notre réputation nous suffit largement ».
Tous deux jouent pour la première fois en Corée.
Max Granvil (EmGé pour les uns, Tim, et ce que vous voudrez pour les hôtes), l’envoyé spécial de Blog de Garenne (BédéGé pour les uns…), présent sur les lieux, ne va pas ici jouer les deux trios l’un contre l’autre : y’a pas photo — ça être sûr —, et on espère que les jeunots de l’aprèm’ sont allés écouter « le Marco et ses deux sbires » en fin de soirée.
EmGé ne va pas se gêner, par contre, pour comparer les deux modes de fonctionnement : le Trio d’en bas (qu’il ne connaissait pas mais dont il vous laisse apprécier le ramage sur le lien ci-contre http://triodenbas.com/ ) fait partie de ces jeunes groupes repérés par l’Afijma et bénéficiaires de la tournée Jazz Migration organisée par ladite institution. Ils ont été repérés par le directeur artistique du Jarasum Jazz Festival (JJF) à l’Europa Jazz Festival du Mans, où ledit D.A. était invité pour découvrir notre scène et « faire son marché de jazz français » (ce qui n’est que naturel : faut bien manger, et si possible en variant ses menus dit mon nutritionniste). La présence du Trio d’en bas au Mans ce printemps et les divers soutiens dont ils bénéficient ont bien sûr pesé dans la balance pour aboutir à leur présence à Jarasum (« Votre trio de jazz français, vous le préférez cash et sans sauce ou avec des petits légumes marinés plus 20% de réduction, Señor JJF Artistic Director ? »). EmGé n’était pas au Mans ce printemps et ne sait pas quels étaient les autres groupes au menu. Ce qu’il a vu du Trio d’en bas à Jarasum, par contre, l’a très moyennement convaincu : de bons musiciens certes (mais en sort-il de mauvais des écoles de jazz, à c’t’heure ?), un peu de musique certes — plutôt pas mal même, au début —, mais surtout beaucoup de show voire de cirque d’un goût douteux (dérouler une partition de 3km pour singer le soliste classique sur une parodie de valse viennoise, imiter l’accent allemand — ce dont je doute que ces trois lascars oseraient le faire en Allemagne, Autriche, Suisse alémanique… tous pays où les groupes de leur niveau pullulent…), bref une tentative assez pitoyable de se mettre le public dans la poche en faisant le coup des djeunz qui s’amusent… ou qui se la pètent. Et tout ceci avec leur propre sonorisateur, et avec le soutien de l’argent public, en pluche. Fastoche ! 

Ducret/Chevillon/Echampard www.marcducret.com/, en comparaison, c’est la grande classe (et l’on souhaite au Trio d’en bas de grimper un jour à ce niveau de maturité/musicalité). C’est également au Mans que le D.A. de Jarasum a repéré Marc Ducret, dans un contexte autre que son trio. Conseillé par son épouse Youn Sun Nah — chanteuse que tu ne peux ignorer, ami lecteur, sinon je te raye de mes papiers —, fine connaisseuse de la scène française, il a engagé le trio… et bien lui en a pris. Imaginez un public familier des clones asiatiques de Mike Stern ou Pat Metheny projeté d’un coup sur la planète Ducret et découvrant du même coup le jeu de basse de Bruno Chevillon et le drumming d’Eric Echampard ! 

Pas de crises cardiaques dans la salle, mais un enthousiasme palpable, des applaudissements à tout rompre pour tout ce qui peut ressembler à un morceau de bravoure, et un « We love you ! » final lancé par une voix féminine, qui résume l’impression générale. Et tout ceci pour trois musiciens (je repète — et répétez après moi, je vous prie — : mu-si-ciens) qui jouaient à minuit, les doigts quasi gelés, sous un chapiteau glacial… mais avec une générosité totale, sans esbroufe, et munis de leur seul talent, de leur expérience de la scène, et d’une vision de la musique d’une authenticité telle qu’on ne l’imagine pas un instant assortie de pitreries et autres gadgets scéniques.  Là, en Corée, de nuit, encore (et toujours) — EmGé aussi peut faire de l’ « humour d’en bas » — : « less is more » (ce que je ne parviendrais pas à traduire avec les quelques bribes de Coréen que j’ai réussi à capter lors de cet instructif séjour — Ja, ja : très inztrüktiv… vu d’en bas). MG
PS: Petit codicille destiné à faire comprendre à nos édiles que, vue d'Asie, la France c'est loin: parmi les divers produits proposés au artistes dans leurs loges on trouvait un vin plutôt bon venu d'Afrique du sud et non de nos bons vieux terroirs. Son nom sonne comme un pied de nez à nos valeureux vignobles:
Et quand on rentre au pays, on sait tout de suite où l'on est! Ci-dessous, l'entrée des WC à Roissy CDG: