dimanche 30 juin 2019

Lew Tabackin trio & quartet, Paris, Sunside, 29/06/2019


Le premier set de sa deuxième soirée au Sunset/Sunside, Lew Tabackin le débute en trio. Alain Jean-Marie est présent dans la salle mais n’interviendra qu’au bout de quelques morceaux où l’on retrouve la magie du trio de la veille. Tabackin, que j’ai cuisiné pendant plus d’une heure en début d’après-midi — eh oui, petit(e)s veinard(e)s vous aurez bientôt droit dans B2G à une interview exclusive du saxophoniste-flûtiste — m’a avoué qu’il adorait jouer en trio, mais le plaisir de se faire accompagner par AJ-M, qu’il connaît bien, ne se refuse pas. 
 
Avec le pianiste, le groupe sonne plus ouvertement bop, les accords du piano cadrant davantage le jeu du quartet dans cette esthétique. Tabackin y est évidemment parfaitement à l’aise et, par-delà l’influence de Hawkins, son phrasé laisse transparaître ce qu’il doit à Bird. Sur un somptueux « You Don’t Know What Love Is » c’est davantage à Rollins qu’on pense, le souffleur explorant avec gourmandise les harmonies de cette splendide ballade tout en construisant un solo de toute beauté. Jean-Marie prend le relais avec son toucher raffiné, son savoir-faire harmonique à toute épreuve et son inventivité mélodique habituels.
Qui ce pianiste n’a-t-il pas accompagné ? Dans tous les contextes où l’on fait appel à lui, il fait merveille. 
 
Je me souviens l’avoir embauché voici un quart de siècle pour accompagner un altiste magnifique autant que méconnu (du moins en Europe où il n’avait jamais mis les pieds) : Gabe Baltazar, qui doit sa renommée au fait d’avoir été pendant plusieurs années le 1° alto de l’orchestre de Stan Kenton. Gabe se montra enchanté du soutien que lui fournit AJ-M, lequel fut ravi de découvrir un soliste et un styliste de ce calibre.  
Le deuxième set du quartet fut encore plus satisfaisant que le précédent, entre autres parce qu’il fit une large place au répertoire de Thelonious Monk. Un magnifique stop chorus de ténor rugueux à souhait introduisit ainsi « Trinkle Tinkle », un véritable cheval de bataille pour un souffleur inspiré et plein d’une fougue qu’on n’attendrait pas a priori chez un quasi octogénaire. Puis ce fut « Ask Me Now », du même Monk, une ballade moelleuse où le lyrisme de Tabackin comme de Jean-Marie firent merveille et que le saxophoniste conclut de nouveau par un de ces stop chorus virevoltants dont il a le secret — secret qu’il partage avec son aîné Sonny Rollins. Enfin le quartet entonna « Rhythm a Ning » avant de passer à Duke Ellington pour un rappel dont on se souviendra longtemps. 
 




















Par contre, eMGé ayant éteint son MacBook avant le rappel et ayant omis de noter le titre du morceau joué en dernier, il ne peut rien vous en dire ce matin, alors qu'il poste ce compte rendu sur B2G, sinon qu’il s’agissait d’une de ces ballades dont le Duke avait le secret. 
Diable de foutue mémoire qui me fait défaut : c’est que votre Max Granvil ne se fait plus tout jeune et que la fuite des neurones l’accable par moments. Ah que ne trouve-t-on pas des barrettes de mémoire humaine en vente libre dans toutes les bonnes épiceries ? 
 
Le monde est vraiment mal fait !
Max Granvil

vendredi 28 juin 2019

Lew Tabackin trio. Paris, Sunset, 28/06/2019


Quand j’arrive au Sunset vers 22h, plus ou moins au milieu du premier set, j’imagine, Lew Tabackin est en plein solo de flûte sur une ballade que je n’identifie pas. Peu importe, ça tombe bien car l’homme est un des flutistes majeurs de la jazzosphère mondiale et ça s’entend dès les premières notes. Sonorité filée, phrasé capricant… tout Tabackin est là ! Surprise de taille : pas de piano ! Alain Jean-Marie, annoncé dans le programme est absent mais ce « déficit » ne se sent pas tellement le soliste a un discours harmoniquement et mélodiquement riche. Va pour un trio sans piano, donc, ce qui est fréquent au saxophone mais rare à la flûte. 
Justement le soliste embouche son ténor. Quel contraste ! Le son est gras, presque « velu » pour utiliser l’expression consacrée, le vibrato est ample et presque palpable, le débit, majestueux sur les ballades sera torrentueux su les morceaux up tempo et des stop chorus (solos sans accompagnement) permettront de vérifier l’assise rythmique d’un ténor tantôt lyrique tantôt tonitruant… Tabackin vient clairement de l’école « Hawk » (Coleman Hawkins) au niveau du timbre et du phrasé et il assume ce classicisme avec un aplomb impérial. 
My main man Lew
Où entend-on d’ailleurs encore ce type de jeu ? Chez un Scott Hamilton voire un Eric Alexander, tous deux cadets de Tabackin mais qui prolongent le discours du Bean (l’autre surnom d’Hawkins) sans trop se préoccuper des apports du bop ou du hard bop, et évidemment encore moins du free. Ce n’est donc pas à une plongée en arrière que l’on assiste au Sunset ce soir, mais à la persistance vivace d’une esthétique qui n’a jamais quitté la scène même si elle n’est plus depuis longtemps majoritaire. Et l’auditoire se régale de cette immersion dans un jazz intemporel et éternellement jeune car joué avec un enthousiasme évident. D’ailleurs les deux comparses de  Tabackin ont tous deux l’âge d’être les fils de leur leader et sont eux aussi férus de jazz « classique » — mais pas que. 
Mourad Benhammou a pour idole Art Blakey et il est souvent parmi les premiers à se voir appelé par les « Américains de passage », comme voici un demi-siècle ses aînés Daniel Humair ou Christian Garros. Un soutien aussi tonique et fourni que le sien est une bénédiction pour les solistes débarqués en France sans leur rythmique et ils ne se sentent pas le moins dépaysés tant le batteur a assimilé le langage « universel » du drumming jazz. 
My main man Mourad
                                    Quant au bassiste de cet excellent trio, je ne le reconnus d’abord pas de loin, avec mes yeux de myope, puis je me rendis compte qu’il s’agissait du grand Philippe Aerts, bassiste belge que je connais depuis des lustres devenu — je l’appris de lui-même à l’entracte — parisien depuis quelques années.
Soutenir Lew Tabackin d’une walking bass souple et tellurique, former une paire soudée et  inventive avec Benhammou, bref « tenir la baraque » comme on l’attend d’un bon praticien de la « grand-mère » était pour lui un jeu d’enfant, évidemment !
My main man Philippe
                                  Il existe dans tous les pays européens des musiciens de tous âges et de cette obédience. Ils constituent une sorte de « fraternité classique » tout en affirmant leur personnalité propre dans le cadre de cette esthétique.
D’ailleurs Philippe et Mourad constituent la paire rythmique européenne attitrée du saxophoniste américain depuis des années et, après Paris, ils iront tous les trois jouer à l’Archiduc de Bruxelles puis au Pizza Express de Londres. Un mini tournée, quoi !
Il m’est arrivé — à Copenhague par exemple, voici quelques années — d’assister à un de ces « concerts hors d’âge » (comme l’excellent Caol Ila que mon majordome me servira dès que le présent concert pendra fin et que mon vaillant scooter Honda « Swing » — le bien nommé — m’aura ramené dans ma luxueuse demeure audonienne). 
La titine à Max Granvil
 Il avait lieu devant un auditoire presque exclusivement constitué de têtes grises qui jubilaient comme des gamins, ovationnant les solos les plus hardis, applaudissant en connaisseurs les plus subtiles inflexions ou les citations dont le soliste — le saxophoniste américain installé au Danemark Bob Rockwell — émaillait son discours…
Telle était l’ambiance au Sunset en cette fin juin, mais la moyenne d’âge du public était nettement moins âgée que dans la capitale danoise quelques années plus tôt.
La vie d’un club de jazz est faite de tels moments de bonheur partagés, et le Sunset quasi plein en ce soir de match (France/USA en football féminin) faisait plaisir à voir.
Loin des stars flashy, des « créations » subventionnées, des « petit(e)s jeunes qui montent », parfois abusivement suivi(e)s par une presse avide de « chair fraîche » , ce trio trans-générationnel (Lew Tabackin a 79 ans, Mourad sera bientôt un fringant quinqua et Philippe l’est depuis quelques années) nous raconta toute une soirée durant « sa » vie du jazz.
Une vie autrement vivante et passionnante que ce que nous proposent nombre de jeunots/nettes accroché(e)s à leurs partitions et à un répertoire de leur plume qui n’arrive souvent pas à la cheville de quelques bons vieux standards revisités de façon inspirée (Duke Ellington ou Oscar Pettiford, ce soir, par exemple).
Il me revient à l’esprit un concert auquel j’avais assisté dans un club de province voici quelques années avec Philippe Aerts — justement — l’immense Charlie Mariano à l’alto et le non moins génial Philip Catherine à la guitare. Enthousiasmé par le premier set, j’allai féliciter les trois musiciens dans leur loge à l’entracte. Je ne tarissais pas d’éloges et mon enthousiasme débordait à gros bouillons. Au bout d’un moment Catherine se tourna vers ses deux comparses et dit d’un ton détaché en me montrant du doigt : « Ce type est fou : on a juste joué de la musique ! ». Il avait raison, bien sûr, de son point de vue. Mais moi aussi, et je suis sûr que j’exprimais un ravissement partagé par tout l’auditoire de cette soirée magique.
Charlie Mariano nous a malheureusement quittés depuis, mais il fit partie jusqu’à son dernier souffle de ces enchanteurs qui font du jazz une musique unique et intemporelle.
Lew Tabackin est de ce tonneau. Ne le ratez pas s‘il passe en club près de chez vous car — suivez mon regard lourd de reproches, comme d’hab’ — il y a peu de chances que vous le voyiez en France dans une grande salle ou dans un festival.
Max Granvil
PS : Demain samedi 29/06, Alain Jean-Marie rejoindra le trio. Ah, quand même !

Komp a raison!

« Comparaison n’est pas raison » affirme le proverbe… Eh bien, mes douze agneaux, Max Granvil prétend, lui que le proverbe a tort (et âtre à verres, me suggère Hans-Helmut, mon majordome, ce qui se défend).
Comparer c’est pouvoir (re)mettre les choses à leur place, les mettre en perspective…
Je me souviens d’un mien élève qui dans les années 70 me montra la pochette d’un disque de Joe Jackson qu’il trouvait « Géniaaaaale ! ». 
L'hommage, copie qu'on forme
 J’eus tôt fait de lui montrer de visu que cette pochette était un hommage à Sonny Rollins dont le gamin ignorait jusqu’à l’existence (Quels ignares ces mômes, j’vous jure ! Mais que leur apprend-on à l’école. Ah là là, ma bonne Mme Michu — non, ma bonne ne s’appelle pas Mme Michu, qu’est-ce que vous allez croire ! — nous vivons une bien triste époque, etc.).
L'original!
A une autre occasion, au début des années 200, ma fistonne cadette (la chair de ma chair, mes chers !) me fit écouter un morceau qu’elle kiffait joué par un groupe du nom (débile) de Limp Biskit. 
Avec, eh!, 100 tatouages…
La fistonne : Ecoute ça, mon Papounet ! Quoi qu’t’en penses-t-y ?
https://www.youtube.com/watch?v=NxoRHqc1iDk
eMGé : Ben c’est « Behind Blue Eyes » des Who, mais pas par les Who… Je ne crois pas que tu connaisses ou te souviennes de la version originale. Tu permets que je te la fasse écouter.
La fistonne : Bien sûr, Ô Daron !
eMGé : Coule toi ça dans le feuilles, Ô ma Benjamine !
version disque :
et version live :
https://www.youtube.com/watch?v=MomyaekDrdA
La fistonne : Mais, Daddy, c’est hachement mieux ! J’hallucine ! Je vais faire péter ça à mes potes.
eMGé : Ravi que tu mettes « tes » Limp machin-chose à leur juste place. Tu as des oreilles, ma fille, Zeus soit loué !
Les vrais de vrais (et en vinyle, en pluche!)

Adonc, l’art de la comparaison est un véritable art s’il est bien pratiqué, et c’est justement à la pratique de cet art que je vous invite car, je vous le rappelle, je suis bon et généreux. J’y peux rien, c’est 1 si.
Revenons sur une chanson dont je parle ailleurs et pour laquelle j’ai une affection particulière : « When the World Was Young ». Il s’agit à l’origine d’un air chanté par la môme Piaf, mais qui est loin d’être une de ses grandes réussites. Allez voir sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=lYXcDylEXHk
 
On en trouve également une version par la bien oubliée (me semble-t-il) Catherine Sauvage, mais elle n’est pas plus convaincante que la précédente et ce pour la même raison : les paroles sont nazes ! Visez-moi par exemple ce refrain :

Ah! Les pommiers doux
Rondes et ritournelles
J'ai pas peur des loups
Chantonnait la belle
Ils ne sont pas méchants
Avec les enfants
Qu'ont le cœur fidèle
Et les genoux blancs

Qu’est-ce que les loups viennent faire avec les pommiers doux et qu’est-ce que c’est que cette histoire de genoux blancs, je vous l’demande. Qu’est-ce que ça veut dire, hein ? (Mais vous allez répondre, oui ou #&§*%@ !?).
Quant à la zik, je la trouve bien lourdingue et passablement datée, comme pouvaient l’être parfois les arrangements des chansons françaises de l’époque.

Traversons maintenant l’Atlantique où ces salauds d’Américains nous ont piqué cette rengaine et l’ont métamorphosée corps et biens (c’est à dire musique et paroles). Question lyrics (c’est comme ça qu’on dit « paroles » en rosbif/hamburger) c’est Môssieur Johnny Mercer qui s’y colle et on lui tire son chapeau (Allez, nom de #&§*%@ ! Retirez-moi votre galurin ou votre béret de votre caboche et roulez le gauchement dans vos doigts gourds, et qu’ça saute !).
Johnny Mercer, c’est entre autres le gars qui a changé « Les feuilles mortes » en « Autumn Leaves » sans dénaturer la poésie des paroles de notre bon Prévert. Respect !
Ses lyrics pour ce « Chevalier de Paris » devenu « When the World Was Young » (rien que le titre sonne mieux!) sont du niveau de celles de « Lush Life » ou de « Sophisticated Lady » : de la poésie pure !
Le Johnny de là-bas aux USA
Un échantillon, dans la version de Peggy Lee — la meilleure selon eMGé :

They call me coquette, and mademoiselle,
And I must admit I like it quite well.
It's something to be the darling of all;
Le grande femme fatale, the belle of the ball,
There's nothing as gay as life in Paris,
There's no other person, I'd rather be,
I love what I do, I love what I see,
But where is the schoolgirl that used to be me ?

Cette partie de la chanson, c’est ce que les US/UK appellent le verse (je vous laisse la traduire, hein ? : je suis pas vot’ larbin !). Quant au refrain le voici :

Ah, the apple trees, 
And the hive of bees, 
Where we once got stung, 
Summers at Bordeaux 
Rowing the bateau, 
Where the willow hung, 
Just a dream ago, 
When the world was young.

Il existe d’autres paroles, entre autres celles écrite pour un male vocalist comme Sinatra, mais elles n’ont pas la densité lyrique de celles que chante Miss Lee. 
                                         
La demie-mondaine (« La grande femme fatale, the belle of the ball ») devient dans la bouche de ce vieux Frankie un « boulevardier », et l’émotion n’est pas au rendez-vous.
Un seul vers peut rendre compte du désespoir larvé qu’exprime cette « pute de luxe » (car c’est ce qu’elle est, ne nous leurrons pas) qui regrette son enfance campagnarde, ses pommiers, ses ruches et sa pureté juvénile:
  
For I've got my mink to keep my heart warm  
 
Allez, je vous traduis ça, bande de feignasses :   
« Car j’ai mon vison pour garder mon cœur au chaud ». Bouleversifiant, niet ?  
Peggyyyyyyyyy!!!
                              
Moi, perso, Hans Kim Konzern, je fonds quand j’entends ça chanté par Miss Peggy (mais 
non pas « Piggy » ! Décidément vous êtes indécrottables. Je m’demande pourquoi je 
tente encore de vous inculquer les bases de la culture jazz sans laquelle un homme/une 
femme qui se veut « du monde » plane à peine au-dessus du niveau du primate basique 
prognathe et velu, bref laid comme un pou et con comme une bite).   
Donc votre eMGé fond et son âme de midinette palpite au creux de son thorax glabre et 
musclé (comme il ce doigt). 
Torse glabre & musclé (pas le mien, té peuchère, cong! eMGé est trop pudique et discret pour dévoiler son âne à Tommy…)

La version de référence : 
https://www.youtube.com/watch?v=9-z6aX3Lwg8 
En moins bien, mais on la voit bouger : 
https://www.youtube.com/watch?v=b5Q1XX_eoE8  
 
Cette émotion qui se dégage de l’interprétation de Peggy Lee (une TRES grande dame du 
chant jazz — et ceux qui voudraient la réduire à son fameux, et excellent, « Fever » vont 
se prendre ma main sur la #&§*%@ incessamment sous peu), on la retrouve dans la 
sonorité et le phrasé du ténor de MONSIEUR Stan Getz.  
  
 
Ecoutez-moi ça, mes douze agneaux : 
https://www.youtube.com/watch?v=m0buaAR5Rdk 
Et encore mieux, même si ça ne bouge pas : 
https://www.youtube.com/watch?v=3k8cFE_Ys-I 
Là c’est le summum du feeling à l’état pur ! Et écoutez comme The Sound descend dans 
les graves de son ténor — ce qu’il fait rarement — pour donner plus d’expressivité à son 
jeu ! 
Impossible de rester insensible à un tel morceau à moins d’être une bête brute qui n’a 
plus forme humaine (et j’en vois là-bas au fond qui n’en sont pas loin. Que Zeus abrège 
leurs souffrances et leur accorde une fin rapide et indolore, par tous les diables !).  
Tous les diables, disiez-vous…
 
Alors, elle vous a plu ma comparaison ?  
Allez, tiens, ma générosité va jusqu’à vous conseiller une dernière version de « When the 
World… », celle d’une grande dame du chant d’outre-Manche, toujours bien vivante mais 
que ces #&§*%@ de programmateurs frenchies de mes deux ne font quasiment jamais 
venir sur nos scènes hexagonales (ni trapézoïdales, non pluche) : Miss Norma Winstone.  
Normaaaaaaaa!
 Mais cette version n’est pas disponible sur YouTube alors il vous faudra chercher. 
Bon courage et bonne écoute : le disque sur lequel figure cette version plus intimiste que 
celle de Miss Lee s’appelle « Manhattan in the Rain ». 
Je vous en ai assez dit. Allez, on se bouge le cul et on cherche. 
Allez, allez ! J’en vois qui traînent là-bas #&§*%@ de #&§*%@ !  — c’est qu’ils/elles me feraient jurer 
ces bougre(esse)s ! 
Max Granvil






























































































 

lundi 24 juin 2019

Getz smokes in your eyes…

Ce titre est bien sûr une parodie de celui du célèbre standard « Smoke Gets in Your Eyes » (que Getz  n’a  jamais joué, à ma connaissance).
Stan Getz, surnommé « the Sound », n’a pas changé la face du jazz comme Coltrane ni été un touche-à-tout de génie comme Rollins mais il reste indéniablement un des plus grands stylistes du saxophone ténor de l’après-guerre.
Que diriez-vous d’un petit tour d’horizon de son parcours ? Un parcours qui couvre près de cinq décennies et qui ne se résume en aucun cas à la bossa nova qui l’a fait connaître du grand public — une image, d’ailleurs, dont il essaya rapidement de se débarrasser. Cette petite balade dans l'oeuvre de Getz n’apprendra rien aux getzophiles impénitents mais rafraichira la mémoire des autres et servira de viatique aux néophytes sur les chemins de la getzologie.
Allons-y :
Getz sort du lot de la cohorte de jeunes saxophonistes blancs qui s’engouffrèrent dans le sillage de leur idole Lester Young dès le milieu des années 40. Il fait alors partie de la section  de saxophones atypique (3 ténors et un baryton) du second herd du clarinettiste, altiste et chef d’orchestre Woody Herman et grave en 1948, sur « Four Brothers » (un morceau up tempo) et « Early Autumn » (une ballade), deux solos mémorables — particulièrement le second (à 2’07’’ du début du morceau), qui entrera dans l’histoire.
Il me semble indispensable d’aller écouter ces deux titres pour bien comprendre ce qui distingue dès cette époque ce saxophoniste de 21 ans de ses confrères.
De gauche adroite: Serge Chaloff, Herbie Stewart, the Sound, Al Cohn
 Getz a alors déjà enregistré avec des vétérans comme Jack Teagarden (à 16 ans !) et Benny Goodman ainsi qu’au sein du big band de Stan Kenton. Il a aussi gravé quelques titres sous son nom en quartet ou en quintet, mais c’est son passage chez Woody Herman qui marquera le plus les esprits (et les oreilles qui le flanquent des deux côtés).
A l’époque le jazz cool et West Coast — auquel Getz n’a jamais vraiment appartenu —n’est pas encore clairement défini et l’on entend fréquemment Getz en petite formations entouré de boppers bon teint comme le pianiste Al Haig. En 1950 il fait même partie d’un sextet de Miles Davis — où il est le seul musicien blanc — enregistré live au Birdland de New York par une radio locale. 
Getz laisse ses mains sur son anche. Miles mâte et bée.
En 1951 on le retrouve pour un bref séjour en Suède — où l’influence du jazz cool a été très forte à cette période — et Getz fréquentera abondamment les pays scandinaves par la suite. Entouré des meilleurs musiciens du cru (Bengt Alberg au piano, Lars Gullin au sax baryton…) le ténor américain évolue comme un sacré poisson dans l’eau de la Baltique.
 
En 1952, Getz dirige pour la première fois un quintet assez stable au sein duquel l’épaulent entre autres le pianiste Duke Jordan et le guitariste Jimmy Raney. Il faut absolument écouter (en boucle, de préférence) le magnifique album « Stan Getz Plays » que grave alors ce quintet où l’interplay et le contrepoint entre les instruments sont tout simplement magiques sur des ballades comme sur les tempos enlevés.  
En 1953 le trombone à pistons de Bob Brookmeyer vient prendre la place de la guitare et l’alliage de ce timbre moelleux et de celui du ténor est parfaitement réjouissant.

Entre deux séances de ce quintet, Getz croise le fer avec Chet Baker au sein d’un quartet sans piano qui joue dans le style de la formation dont le trompettiste faisait partie aux côtés de Gerry Mulligan. Autant dire que les deux souffleurs s'entendent comme larrons en foire.
 
Mais ce tropisme cool n’empêche pas Getz de se confronter la même année à une star du bop comme Dizzy Gillespie.
 
Getz est un curieux et l’une de ses rencontres — malheureusement inédite en CD mais qu’on trouve sur YouTube est celle qui l’amena à jouer avec John Coltrane, lequel avait une grande admiration pour son confrère. La rencontre eut lieu en Allemagne en 1960 et il est passionnant d’entendre la différence entre le jeu fluide et mélodique de Getz et le phrasé plus abrupt et véloce d’un Coltrane alors en pleine ascension. Getz — le cadet de Coltrane de quelques mois — est à nouveau le seul Blanc du quintet, ce qui ne lui a jamais posé problème, et il s’attaque entre autres, en cette compagnie, à deux thèmes de Thelonious Monk qui ne faisaient pas partie de son répertoire. La prise de risque n’a jamais fait peur au Sound !
 
Revenons dans les années 50 où Getz se produit et enregistre fréquemment à Los Angeles — notamment avec Lionel Hampton — et de nouveau Benny Goodman et Dizzy Gillespie. Mais ce sont sans doute les quintets que Getz co-dirige avec J.J. Johnson qui le montrent sous son meilleur jour, faisant équipe avec le virtuose du trombone qui influença tous ses successeurs à coulisse.
 
Entre-temps le ténor profitera d’un passage en France pour s’offrir la collaboration de « notre » Martial Solal : une belle réussite en compagnie d’un autre virtuose, du piano cette fois.
 
En 1961, alors que monte en puissance un free jazz auquel Getz restera toujours indifférent, le ténor enregistre — avec un orchestre étoffé comprenant essentiellement des cordes arrangées par la plume d’Eddie Sauter — un disque qui figure parmi ses chefs d’œuvre : « Focus », sur lequel Getz est le seul à improviser sur la partition luxuriante de Sauter. Cette œuvre unique dans la carrière du ténor montre l’inventivité d’un saxophoniste qui sut se couler magnifiquement dans l’écrin qu’on lui avait fourni.
 
C’est en 1962 que commence la période « brésilienne » de Getz (en fait The Sound n’a jamais mis les pieds au Brésil) et elle débute avec un guitariste qui l’initie à la musique carioca : Charlie Byrd. Leur disque « Jazz Samba » connut un succès appréciable et fut suivi par un autre en big band sur le même type de répertoire. 
 
Mais ce sont les albums  suivants, enregistrés avec de vrais Brésiliens — et pas n’importe lesquels : le guitariste Luis Bonfa, puis le tandem Joao Gilberto (g)/Antonio Carlos Jobim (p), tous deux compositeurs par ailleurs, enfin le guitariste Laurindo Almeida — qui assureront à Getz un énorme succès et quelques Grammy awards. 
 
On a souvent tendance à réduire Getz à sa période brésilienne — qui en fait dura à peine deux ans. Cette assimilation d’un artiste à un mouvement qu’il prit en marche et contribua à populariser est parfaitement abusive. Certes la sonorité fluide et moelleuse de Getz fait merveille dans le contexte bossa/samba, mais l’examen du reste de sa discographie montre bien qu’à quelques exceptions près il ne revint jamais sur ces succès et ne reprit qu’occasionnellement des éléments du répertoire carioca. Toujours est-il que Getz profita de cette idylle tropicale pour pécho la belle chanteuse Astrud Gilberto, la meuf de son guitariste Joao. Une période qui ne lui fut donc pas profitable que sur le plan économique et musical…

Une des reprises de bossa que Getz fit par la suite est le thème « O Grande Amor » joué live à Paris avec son nouveau quartet composé de Gary Burton (vib), Steve Swallow (qui n’est pas encore passé à la basse électrique) et le grand Roy Haynes (dm). 
 
Getz a en effet commencé en 1964 une collaboration avec le jeune vibraphoniste qui donnera à la sonorité de son groupe une saveur inédite. L’intégralité de l’album « In Paris » (réédité dans la série économique « Jazz in Paris » chez Universal) est à prendre sans mégoter et un autre titre mérite tout particulièrement notre attention de franchouillards à béret, baguette, camembert et kil de jaja : « When the World Was Young », sur lequel Getz déploie  un lyrisme bouleversant. Il s’agit en effet à l’origine d’une chanson française figurant au répertoire d’Edith Piaf, « Le Chevalier de Paris ». Ce n’est certes pas son titre le plus fameux et pour cause : les paroles en sont assez ineptes. Repris outre-Atlantique sous un nouveau nom et paré de lyrics de l’excellent Johnny Mercer (je vous conseille vivement la version chantée par Peggy Lee sur son album « Black Coffee » — qui débute d’ailleurs par une trompette citant La Marseillaise, histoire de rappeler les origines du morceau) l’ex « Chevalier de Paris » devient l’émouvante histoire d’une demie mondaine qui regrette l’innocence de sa jeunesse. Un pur chef d’œuvre qui deviendra un standard repris par nombre de vocalistes étatsuniens mais peu d’instrumentistes à part Getz. 
Il y aurait au passage des questions à se poser sur la capacité des Américains à métamorphoser des chansons françaises pour en donner des versions jazz : « La Mer » de Trenet et « Les Feuilles Mortes » (« Autumn Leaves » en UK/US) de Prévert et Kosma en sont les meilleurs exemples. En France, les jazzmen — à quelques exceptions près — ont longtemps méprisé la chanson française. Si Eddy Louiss reprit et métamorphosa « Colchiques dans les prés », c’est sans doute Jacky Terrasson sur son disque « A Paris » qui alla le plus loin, revisitant magistralement « La Marseillaise » (traitée en valse lente !), « L’aigle noir » de Barbara sublimé par son piano poétique et par le soprano lyrique de Stefano di Battista, ou le traditionnel « Plaisirs d’amour ».
 
Mais revenons au dénommé Stanley Gayetzki aka Stan Getz, natif de Philadelphie, la ville de l’amour fraternel.
A partir de 1964 et de sa rencontre avec Gary Burton, Getz aura fréquemment à cœur d’adouber de jeunes musiciens qui l’aideront à conserver une éternelle jeunesse dans le son et le phrasé. Car une des caractéristiques du Sound est qu’il ne semble jamais vieillir, conservant dans son jeu une fraîcheur dont il ne se départit pas. Un automne précoce (early autumn), en quelque sorte, qui semble ne jamais devoir finir et qui fait apparaître l’hiver de la vie comme une lointaine perspective parfaitement évitable.
J’ai vu et entendu pour la première fois Getz à Jazz à Vienne en 1991, quelques mois avant sa mort. Bien que sans doute affaibli par la maladie — mais rien n’y paraissait — il me ravit du début à la fin de son concert. Fraicheur (coooool, Baby !), fougue, plaisir de jouer, inventivité mélodique… le Getz de toujours, cher à mon cœur et dont les disques font plier mes étagères était devant moi en chair et en os et je me retrouvais gamin émerveillé, en culotte courte et suçant quasiment mon pouce de plaisir. 
Le Théâtre antique (et sans toc) de Vienne, France.
Stan the Man envoutait le Théâtre antique de sa musique sans toc. Merci, Maestro, et RIP là où tu es allé rejoindre Lester the Prez, ton idole, et tous tes compagnons de route décédés avant toi, qui constituent un véritable who’s who de cette musique de jazz dont tu resteras à jamais un des plus beaux fleurons.
Mon seul regret est que Stan Getz ne souhaita pas m’accorder l’interview que je lui demandais en coulisses après ce concert mémorable. Il était là, tenant tendrement sa compagne par le bras, et je m’en serais voulu d’insister. Qu’aurais-je d’ailleurs pu lui faire dire dont il n’avait pas déjà abondamment parlé dans des ITV précédentes ?
Je remis donc vite au placard mon petit égo de jeune journaliste désireux d’ajouter une de ses idoles — et une star — à la liste de ses interviews et pris congé de Mister Getz  en lui souhaitant « all the best ».

Revenons donc à Getz et les jeunes. C’est avec ces derniers qu’il réalisa à partir de 1964 ses enregistrements les plus marquants. Sa rencontre avec Bill Evans, son contemporain, est par contre assez décevante et ne répond pas vraiment à l’attente que peut susciter l’association de ces deux stars.
Quand le ténor (à 40 ans) embauche un Chick Corea (de 14 ans son cadet) la rencontre est autrement satisfaisante et les beaux albums « Sweet Rain » puis « Captain Marvel » sont là pour en témoigner. 
 























Suivra une collaboration avec l’excellent Stanley Cowell (p), qui a le même âge que Corea. Getz a toujours su bien choisir ses pianistes, ce qui s’explique par sa profonde connaissance de l’harmonie et son aisance magistrale sur les grilles d’accords. La liste de ceux qui lui ont fourni un soutien harmonique et rythmique est longue et prestigieuse : de Hank Jones dans les années 40 à Kenny Barron à la fin de sa carrière, en passant par le méconnu Albert Dailey, Andy Laverne, Jim McNeely ou la seulefemme du lot Joanne Brackeen
Stanley























Joanne














Mais en 1971 c’est d’un trio européen que Getz tombe amoureux à Paris (la ville idéale pour tomber amoureux me glissent à l’oreille mon majordome et mon chauffeur qui sont d’indécrottables chauvins) en la personne d’Eddy Louiss (org), Bernard Lubat (dm) — cocorico ! — et René Thomas, un guitariste belge dont on ne dira jamais assez de bien.
Getz emmène ses jeunes compagnons en tournée et enregistre avec eux le magnifique « Dynasty » : c’est la première fois qu’il embauche un organiste et la combinaison de sa sonorité de ténor et de celle du Hammond de Louiss est un régal
 
Encore en Europe et en 71, Getz est le principal soliste du big band codirigé par le grand batteur américain expatrié Kenny Clarke et le pianiste-arrangeur belge Francy Boland. Cette excellente phalange regorge d’instrumentistes européens et américains installés sur le vieux continent ce qui fait d’elle à l’époque sans doute le meilleur big band de ce côté-ci de l’Atlantique et Getz s’ébat en son sein comme un foutu poisson dans le putain d’océan.
 
Toujours en Europe — et même en France — c’est avec l’orchestre de  « notre » Michel  Legrand que Stan the Man s’acoquinera la même année. Une belle rencontre là aussi.
En 1975 c’est avec un pianiste vétéran au savoir harmonique incomparable et au toucher d’une grande subtilité que Getz s’associe en la personne de Jimmy Rowles. L’album « The Peacocks » (du titre de la plus célèbre composition de Rowles) est un enchantement et indéniablement un des sommets de la carrière de notre ténor comme de celle du pianiste.
En 1983 ont lieu des retrouvailles fort décevantes entre Stan Getz et Chet Baker lors d’une tournée scandinave. Getz méprise le trompettiste qui contrairement à lui ne s’est pas débarrassé de son addiction à l’héroïne. La  musique se ressent de cette mésentente et, significativement, les photos figurant sur la pochette du disque montrent presque toujours les deux leaders se tournant le dos. Bonjour l’ambiance ! Il faisait décidément un froid glacial en Suède et en Norvège en ce mois de février 1983. Pas trop cool tout ça !
A partir de 1986 Getz trouve son pianiste idéal en la personne de Kenny Barron, un excellent spécialiste des 88 touches qui l’accompagnera jusqu’à sa mort et avec qui il enregistrera entre autres les magnifiques « Anniversary », en quartet, et « People Time » en duo. C’est le chant du cygne du Sound et le tremplin vers la célébrité pour le pianiste.
Kenny
Ce dernier me confia d’ailleurs en interview un détail touchant : « Quand je jouais avec Stan, j’avais tous les soirs les larmes aux yeux et je sais que, moi, je ne ferai jamais pleurer personne ! ». Belle marque d’humilité pour un musicien qui, s’il n’est effectivement pas le plus émouvant des spécialistes du clavier acoustique, n’en est pas moins un accompagnateur de premier ordre et est devenu — notamment en trio — un leader accompli.


























Voilà : ici s’arrête la saga du Sound et vous n’avez plus qu’à vous ruer sur amazon ou chez votre disquaire favori pour casser votre tirelire et compléter — ou constituer — votre discothèque getzienne en suivant les conseils avisé de celui qui reste votre humble serviteur. J’ai nommé Max Granvil, EmGé pour les intimes, … mais sommes nous déjà si intimes ?
Bonnet coûte (que coûte).
 

Max Granvil

PS : A lire : Stan Getz (Edition du Limon) par Alain Tercinet, un des très grands historiens du jazz — un lui doit entre autres un remarquable « West Coast Jazz » (Editions Parenthèses) — qui nous a quittés voici tout juste deux ans.
Que cet article soit l’hommage que lui rend Blog 2 Garenne.