Ah là là ! Rien qu’à la lecture du titre de cet article vous devinez que je vais m’en prendre aux institutions de notre belle République.
D’aucuns déploreront que j’écornifle une nouvelle fois les statues qui ornent notre bel Hexagone. Qu’ils/elles passent leur chemin et ne lisent même pas les paragraphes qui vont suivre : cela ne ferait qu’échauffer leur bile. D’autres se réjouiront qu’une voix (pas la seule, c’est certain, mais il y en a peu d’autres) s’élève pour pointer les dysfonctionnements ou les aberrations que l’on peut remarquer ici ou là. D’autres enfin découvriront des pratiques plus ou moins occultes ou dont il n’est pas évident de se rendre compte quand on est uniquement spectateur de la jazzosphère hexagonale et qu’on n’a pas nécessairement le recul pour mieux voir ce qu’y s’y passe parce qu’on fait simplement partie du public.Max Granvil, pour sa part, ne cherche pas à se battre contre les moulins (à vent, après ou à eau, il s’en tamponne) ou à se présenter en dénonciateur des grands et petits scandales. Mais depuis qu’il a quitté, après plus de 30 ans de longs et boyaux sévices, la noble institution qu’est Jazz Magazine, il apprécie de pouvoir analyser et critiquer librement, ce qu’il lui était impossible de faire dans les colonnes de cette prestigieuse et ancienne revue. Il se plaît aujourd’hui, armé de son fidèle économe, à ôter la peau qui empêche de voir la pulpe institutionnelle et de lui faire rendre son jus souvent saumâtre.
L'économe de votre dévoué eMGé |
Un exemple ? J’ai (re)découvert voici quelques années, en feuilletant le livre paru voici quelques lustres pour célébrer les 20 ans de notre Orchestre National de Jazz (On Jazz, éditions Creaphis 2007) un fait que je n’avais pas clairement identifié au fil des ans et au fur et à mesure que défilaient les versions successives de l’ONJ : la place qu’y occupent les musiciens de couleur est minime. Comptons-les si vous le voulez bien : Aaron Scott (dm) avec François Jeanneau (1986), Mokhtar Samba (dm), Etienne Mbappé (b) et Nguyên Lê (elg) avec Antoine Hervé (1987-1989 : le plus « multicolore » de tous les ONJ !), Harry Beckett (tp) chez Didier Levallet (1997-2000), Manu Codjia (elg) chez Paolo Damiani (200-2002)… et c’est tout en 20 ans !
Guitariste? N'Guyên l'est! |
Mokhtar S. |
Si l’on met de côté les deux anglo-saxons — l’Américain Aaron Scott et le Britannique Harry Beckett — il reste une toute petite poignée de musiciens « issus de l’émigration », selon la formule consacrée. Or une institution nationale, financée par l’état, n’aurait-elle pas comme obligation morale d’inclure dans ses rangs davantage de représentants de la diversité pluri-ethnique et pluri-culturelle de la société française ? Eh bien quand j’ai souhaité écrire un papier sur ce sujet dans les colonnes de Jazz Magazine, on m’a clairement fait comprendre que c’était hors de question et je suis retourné me blottir dans mon terrier pour panser ma blessure, tout confus et tout dépité.
Mon terrier à moi tout seul |
J’irai plus loin : quand y a-t-il eu un article conséquent sur un des musiciens « basanés » précités (auxquels on peut ajouter Linley Marthe, Jean-Claude Montredon, Jean-Jacques Elangué, Donald Kontomanou, Mourad Benhammou, Karim Ziad, Rodolphe Lauretta…). Quand a-t-on longuement interviewé l’un d’entre eux (à part Nguyên) ? Soyons clair, je ne soupçonne pas Jazz Magazine de racisme mais il y a clairement une sorte de « plafond de verre » concernant les musiciens issus des DOM TOM ou des anciennes colonies françaises.
Il y a quelques mois j’ai félicité Fred Maurin (que je connais un peu) pour sa nomination à la direction de l’ONJ, pour son choix de créer un ONJ des jeunes et de former un ONJ mi-hommes mi-femmes. Mais j’ai ajouté « Et quand nous feras-tu un ONJ black/blanc/beur, comme notre équipe nationale de foot ? ». J’attends toujours sa réponse !L'ONJ de Fred Maurin: beaucoup de lumières mais peu de couleurs! |
Bref, dans Blog 2 Garenne, je peux me permettre d’aborder ce type de sujets et je ne me gêne donc pas car chacun sait qu’où y’a d’la gêne y’a pas d’plaisir. J’espère donc faire plaisir à mes lecteurs/trices en pointant dans les institutions les recoins où ça coince.
Sur L’ONJ, j’ai déjà pas mal écrit au fil des ans, mais revenons sur une pratique à mon avis fort critiquable. Daniel Yvinec (selon moi le plus discutable des « chefs » de l’ONJ) a un temps confié la direction de cet ensemble au batteur-compositeur américain John Hollenbeck. Ce dernier est-il un si grand batteur ou un compositeur si remarquable qu’il vaille la peine de lui faire traverser l’Atlantique pour diriger un tel ensemble de musiciens français ? C’est très discutable. Derrière tout cela n’y avait-il pas surtout une fascination très « mode » pour le Claudia Quintet d’Hollenbeck, un des groupes phares de la scène newyorkaise qui avait le vent en poupe au début des années 2000 ?
Hollenbeck s'apprête à frapper un grand coup à la tête de l'ONJ |
Mais un Orchestre National de Jazz français est-il censé se soumettre à une mode passagère (qui, aujourd’hui, se souvient du Claudia Quintet ? Existe-t-il même encore ? N’y avait-il, aux USA ou en Europe, aucun autre arrangeur plus intéressant à inviter ?…).
Fred Maurin a confié l’orchestration de son programme « Dancing in your Head » — un hommage à Ornette Coleman — à Fred Pallem (les Fred s’aiment, dirait-on). Je ne remets pas en cause le talent d’arrangeur de Pallem, mais lui un « spécialiste » d’Ornette ? Ca se saurait ! Alors pourquoi lui ? Parce qu’ils est depuis des années un confrère de Maurin au sein de l’association Grands Formats qui rassemble un nombre conséquent de grandes formations ? Et puis est-ce le rôle de l’ONJ de faire un hommage de plus, à une époque où cette pratique fleurit et pullule un peu partout (regardez par exemple le programme du Sunset/Sunside). Ras le bol des hommages aux figures tutélaires de l’histoire du jazz, surtout quand la compréhension qu’on a de leur art (esprit et/ou lettre) est passablement discutable.
Ornette? Pallem l'aime… |
Ce n’est pas là que se rencontre la créativité du jazz actuel !
Ô Maja ! Ô Maja ! Toi la grande prêtresse du recyclage de trucs du passé, quand cesseras-tu de cautionner ces « hommages à… » ?
Cette invitation faite à des intervenants avant tout prestigieux, Américains ou pas, on la retrouve au CNSMP (le prestigieux conservatoire de Paris). Voici quelques années, son directeur Riccardo Del Fra fit venir Billy Hart pour animer une master-class. Billy me demanda d’y assister et je passai une demi-journée en compagnie des étudiants et du batteur-enseignant. Malgré tout le respect voire l’admiration que j’ai pour le jeu et la carrière de Billy Hart dans tous les contextes où j’ai pu l’entendre sur scène ou sur disque, il ne m’a pas impressionné par ses qualités de pédagogue et l’après midi que j’ai passé au CNSMP ne m’a pas laissé un souvenir inoubliable. Alors pourquoi avoir choisi ce musicien sinon parce qu’il jouit (à juste titre) d’une réputation prestigieuse en tant que batteur, et même en tant que leader du quartet qu’il a formé avec Mark Turner (ts), Ethan Iverson (p) et Ben Street (b), lequel a enregistré deux magnifiques disques sur le label ECM ?
Billy Hart |
Del Fra |
Et puisqu’on parle de la classe de jazz du prestigieux conservatoire parisien, posons-nous une autre question : à sa création les enseignants y avaient pour nom François Jeanneau, Daniel Humair ou Jean-François Jenny-Clark. De leurs classes sont sortis des musiciens de la trempe de Christophe Monniot, Matthieu Donarier, Manu Codjia, Jeanne Added, Emile Parisien, Vincent Peirani…, qui pour la plupart ont participé à deux excellents groupes dirigés par Daniel Humair (le quintet Baby Boom et le Daniel Humair Quartet) et qui tiennent depuis des années le haut du pavé sur la scène jazz française mais aussi européenne (Monniot en Hongrie, Parisien et Peirani en Allemagne…). De jeunes musiciens au talent et à l’ouverture exceptionnelle, qui ont bénéficié d’un enseignement qui n’est pas pour rien dans le développement de ces qualités.
Jeanno au sopraneau |
Feu JF et sa basse |
Humair se fait une toile |
La Jeanne |
Manuuuuuuu! |
Matthieu D. |
Christophe M. |
Ze D.H. Factor ;-))) |
Un quartet européen |
Je ne reviendrai pas sur ce qu’il y aurait à dire à propos d’une bonne partie des grands festivals de jazz « institutionnels » français. Que le lecteur curieux parcoure les anciens articles de Blog de Garenne et il n’aura aucun mal à se faire une idée de ce que j’en pense. Insistons cependant sur les différences que présentent ces festivals avec leurs confrères européens. A Bergame, dans le nord de l’Italie, la direction artistique du Bergamo Jazz Festival change tous les trois ou quatre ans. S’y sont succédés des Italiens comme Paolo Fresu ou Enrico Rava mais aussi des Américains comme Uri Caine ou Dave Douglas. Dernièrement c’est une musicienne italienne, la chanteuse Maria Pia De Vito qui s’est vu confier ce poste. Des étrangers ? Une femme ? Impossible en France !
Maria Pia De Vito |
Dave & Uri |
Paolooooooo! |
Zomer Jazz Fiest Tour, Groningen, NL |
Toujours en Italie, en Sardaigne plus précisément, Paolo Fresu, l’enfant du pays, dirige un festival dans et autour de son village natal : Berchidda. Mais cette direction est tout sauf hégémonique et les projets artistiques que met en avant Paolo peuvent inclure aussi bien Steve Coleman présent plusieurs jours dans différents contextes, des Nordiques comme Eivind Aarset invité à former un duo inédit avec son confrère guitariste Nguyên Lê, des rencontres entre des souffleurs de launeddas sardes et des souffleurs de cornemuse bretons… bref, une programmation éclectique et inventive, loin des modes et des institutions officielles. En Norvège, au Natt Jazz de Bergen, le directeur de l’époque Bo Groeningsaetter (décédé depuis) m’avait confié que lors d’une précédente édition du festival lui et son équipe s’étaient rendus compte, après avoir établi la programmation, qu’ils n’avaient pas pensé à inclure un seul groupe américain ! Possible chez nous, dans un grand festival ? De la même façon l’an dernier au Zomer Jazz Fiest Tour de Groningen, au nord des Pays-Bas — un festival où l’on se déplace à vélo d’un concert à l’autre — on pouvait entendre des petits groupes hollandais, allemands, portugais, et même un trio grec, mais pas une seule formation française. Après tout quand voit-on des Bataves en France ? Pourquoi tiendraient-ils davantage compte de nous que nous ne nous soucions d’eux ? Allez un peu checker sur le net les programmes de Jazz Baltica ou du festival de Moers en Allemagne, du Tampere Jazz Meeting en Finlande, du festival d’Umeå (prononcer Oumyo) en Suède, du festival de Clusone en Italie… sans parler de celui de Jarasum en Corée du Sud où la programmation est particulièrement éclectique et où la moyenne d’âge du public tourne autour de 20 ans… et vous comprendrez que chez nous l’ouverture d’esprit n’est pas la caractéristique principale. Il ne s’agit même pas d’une critique mais d’un constat, fruit d’une simple comparaison avec ce qui se passe ailleurs.
Deux Gémeaux valent mieux qu'un! |
Max Granvil à Stavanger (Norvège) en compagnie d'une poignée d'acteurs du jazz mondial |
Merci qui ?
Max Granvil