samedi 4 février 2012

Dans la série "Le hachoir & la bédide küiyäre": Ze plouch MEGAGROß?!


Ah il y en a qui l'adorent cette bête expression-cliché, poncifiante de banalité, qui porte au firmament quelques vieux vivants et quelques poignées de morts. "Tous de braves types", disait Brassens de ces chers défunts que la raideur cadavérique et le travail des asticots sous les racines de pissenlits métamorphose en vrais génies.  
"Il a joué avec les plus grands" (c'est elle la bête expression-cliché…), ça vous pose autant quelqu'un qu'une bonne vieille particule, non? Et on vous la ressort à tout va: "Vous savez, McChin Chôz, il a joué avec les plus grands!" Dans ce cas, n'ayez surtout pas l'outrecuidance de demander une définition de la notion de "plus grands" (elle est boulonnée de série, intangible autant qu'intouchable, non soluble dans la critique marxiste, structuraliste ou bourdieusienne, elle se range à côté de la sainte-trinité et de la flamme du soldat inconnu: elle s'appelle pas-touche; casse-toi-pôv' con; passe ton chemin, étranger; we don't want U here; viens pas m'gâcher mon rêve ni pisser sur mon panthéon, Gaston…).  Gardez-vous, de même, de suggérer que le Mac Chinchauze — qui a, paraît-il, joué avec "Ze plouch MEGAGROß" (ainsi — si vous le voulez bien — appellerons-nous dans cet article les supposés + BIG che los autres, et ce afin de faciliter la compréhension à notre nombreux lectorat international) — s'est contenté de faire le boeuf pendant 10mn, after hours, avec des membres de l'orchestre d'(Ellington, Hampton, Herman, Gillespie, Sun Ra… au choix) tous bourrés comme des vaches, pendant que le boss gerbait ses tripes en rot majeur dans les chiottes. Ou bien qu'il a sué sang et eau lors d'un duo avec David Amourmec, Heinrich-Peter Anunzio, Jean Tailleur ou Thimothée A. Gants lors d'une masteurclasse donnée par un de ces éminents pédagogues et au cours de laquelle douze autres apprenants ont défilé aux côtés du… ma est-ce trop? 
— Non, par tous les diables, on vous le dit : "Il a joué avec les plus grands!" (Ze plouch MEGAGROß). Voilà qui ne se discute pas, à moins d'avoir une tournure d'esprit particulièrement iconoclaste, perverse, soupçonneuse, tordue… ce qui semble être votre cas à Blog de Garenne! 
— Ben oui, on l'avoue et même on plaide coupable : allez jeter un coup d'oeil au terrier d'un lapin de, et vous comprendrez que non seulement EmGé a l'esprit tortueux et fouineur, mais qu'il l'assume à donf. Conséquence : il va saisir le hachoir qu'il porte jour et nuit accroché à la ceinture de son futal ou de son pyjama, il va vous trancher menu cette notion de "plouch BIG", puis vous en restituer les résidus, moulés à la cuillère à café, flambés au whisky, et toutes ces sortes de choses. Prêts?  

Le seul qui, par la force des choses, a toujours joué avec "les plus grands" ;-).
Ce qui fait kiffer votre EmGé dans le fait de commencer là maintenant cette descente en flamme de la notion grave naze de "plouch MEGAGROß" c'est qu'un musicien, justement, considéré comme l'un d'entre eux balance lui-même cette idée à la poubelle dans les pages du dernier numéro (février 2012) de Jazz Magazine/Jazzman. Y pouvait pas tomber plouch pile le père Ahmad Jamal, dans l'interview qu'il a accordée à Laurent De Wilde ! Je le cite (à propos d'Art Tatum): "Wow, je suis tenté de dire que c'est le plus grand, sauf que ce serait une bêtise de dire ça: il n'y a pas de plus grand, chacun amène sa pierre à l'édifice, chacun a quelque chose de différent […] personne n'est LE plus grand… Le plus grand boxeur, le plus grand cuisinier, c'est une maladie que l'on a de mettre quelqu'un tout en haut…" 

C'est "d'UN maître du piano" qu'il eût fallu titrer… mais faut bien que ça se vende en kiosque…;-)
Wow, Jamal, jamais t'as parlé d'or comme ça, my main man! Et si certains d'entre vous ont la mémoire moins courte que la… (à vous de choisir parmi les plouch BIG de ce que vous voudrez), ils se souviennent peut-être que votre Max Granvil disait à peu près la même chose dans son modeste "Eloge des seconds-couteaux" publié sur ce blog voici quelques mois, et auparavant il y a lurette sur le site de… Jazz Magazine, justement. 
Pour vous rafraîchir les neurones : "Le monde du jazz d'aujourd'hui — du moins les non musiciens (critiques, amateurs, promoteurs, managers ...) qui gravitent autour de ses créateurs — passe une partie de son temps à regretter l'absence de figures majeures, à attendre le(s) messie(s) à venir, ou à en introniser hâtivement. "Prophètes" ou "divas", "dieu(x) du piano" ou "alto(s) le(s) plus swinguant(s) de la planète" et autres "surdoués" apparaissent et disparaissent ainsi sous la plume des critiques, des attachés de presse et des rédacteurs de programmes de festivals au fil des ans et des saisons. 

Et le phénomène, on le voit, n'est pas nouveau!
Rassurante (?) pour un public en quête de prêt à penser et à écouter, cette nomenclature dithyrambique est aux antipodes de la réalité du terrain et de l'esprit du jazz. […] Et voilà bien ce qui nous manque aujourd'hui : cette aptitude à mettre chacun à sa place sans faire jouer une concurrence illusoire et stérile. Est-ce grave, Docteur ? Oui, mais pas irrémédiable. Car la perte de cette faculté est le symptôme de la disparition progressive d'une culture et d'une capacité d'écoute sélective et discriminatoire mais ouverte. Quand on a — et tant qu'on avait — dans l'oreille le son, le phrasé, le toucher, le grain... de chacun et en mémoire le son, le phrasé, le toucher, le grain... de ses pères, ses mères, ses frères et ses sœurs Oh oh ! C’était le bonheur…" 
Rien d'étonnant à ce qu'Ahmad Jamal reprenne les propos de Max Granvil : EmGé l'avait déjà repéré, en culottes courtes, alors que le gamin assistait au premier rang à une conférence que votre serviteur donnait à Pittsburgh en 1939, quelques siècles après avoir accompagné GLC (Le Conquérant, à ne pas confondre avec GLQ — dont il faudra sans doute aussi parler un jour. Le plus tard possible…) dans sa conquête d'une île où personne n'est foutu de faire pousser de la vigne (mais c'est une autre histoire). "Continue, Fritz, mon gars !", lui avais-je dit à l'époque en accompagnant mes encouragements d'une claque virile et amicale entre les omoplates. Je parlais de piano, évidemment, mais je vois aujourd'hui qu'un peu de ma philosophie s'est lovée dans les circonvolutions cérébrales de l'ex Mr. Jones, devenu depuis Ahmad le Terrible (dixit Jack DeJohnette). Je n'aurai donc pas oeuvré en vain, et la consolation n'est pas mince quand on est, comme moi, cerné par les roquets plouchMEGAGROßophiles qui pullulent telle la vermine entre les pages du papier imprimé, à la radio, à la télé, dans les studios, dans les WC, les ministères et sous mes pieds… 

Mais d'où vient cette "maladie que l'on a de mettre quelqu'un tout en haut"? Cette maladie qui touche particulièrement les nains de la critique jazz qui ne se sentent à l'aise que juchés sur les épaules de géants (et qui dénicheront de ce fait à tout prix des "géants", quitte à réhabiliter le premier méconnu venu qui n'a jamais réussi à se faire un nom en X années de carrière). Des "critiques" dont la profondeur de  pensée atteint à peine les capacités de conceptualisation d'un rémora collé aux flancs d'un squale. 
— Bon ben alors cette maladie, Dr. EmGé d'où qu'elle vient-y? Tu bavasse ou tu nous le dis?


— Peste, public aimé (toi Abdelkrim, toi Sue-Helen…),  calme ton impatience juvénile  et laisse les paroles s'écouler de la bouche du sage comme la bave de celle de l'escargot : l'hypothèse la plus évidente semble être que cette maladie s'est transmise via les religions monothéistes, qui veulent toutes un boss sur son nuage balançant vers nous — multitude vile qui grouillons au ras du sol — anathèmes, étables de la loi, pluies de sauterelles, filsbienaiméenquij'aimistoutemaconfiance… comme si la Terre était un dépotoir. Et comme nous sommes tous plus ou moins maso, nous aimons et admirons ce démiurge qui nous domine. Elle vient sans doute aussi du manque de père: orphelins de Louis XIV, de Napoléon, du Grand Charles et de Tonton, la France, livrée au nain hystérique et bimbophile et à ses sbires se cherche des "grands" là où elle peut. On ne peut exclure enfin, comme foyer de cette épidémie, la peur du vide: il y a quelques lustres, le free a foutu les jetons avec tout ce désordre bruyant, perpétré souvent sans chef clairement désigné. Depuis, la crainte d'une liberté créatrice sans frein s'est répandue dans le public, la critique, les institutions… Un collègue qui a bossé à la FNAC me racontait qu'une question récurrente des clients du rayon jazz à propos d'un disque dont ils envisageaient l'achat était: "C'est pas trop free?" Au point que ce futé collègue avait décidé de répondre systématiquement "Non, juste un peu rissolé!". 
Ben oui, si le chef cuistot secoue les nouilles, les rissole ou les frit, on sait au moins à qui adresser ses réclamations. Et si ce chef fait partie de Ze plouch MEGAGROß, y'a même plus besoin de demander conseil aux vendeurs: la pile de skeuds en tête de gondole (la plouch haute, bien chour) vous indique où investir vos économiches. Quel gain de temps et d'énergie par rapport à ces fastidieux moments d'écoute attentive que voudraient nous imposer des ayatollahs du jazz tels qu'EmGé, Ahmad Jamal et autres sales types si fiers de leurs oreilles affûtées et qui font rien qu'à perturber notre quiétude bercée par ce que l'amer Michel nous conte (Ah!) en chaire dans les pages de Tel Erra Muche, ou ce que nous narrent X ou Y dans celles des Uns Rauques, ou des autres.  
Petit peuple gentiment jazzophile, repais-toi donc du prêt à penser et à écouter sélectionné spécialement pour tes esgourdes par tous ces nains, au saint des oeuvres de Ze plouch MEGAGROß, de sus imitadores, of their followers & de leurs continuateurs. Une pincée de "petits génies" en rab, pour éviter Lala C. Thüde et te voilà servi, serviette nouée autour du cou, sûr d'être dans un resto coté au guide Mille Chiens.  Car on le sait: les roquets de la "critique jazz", qui dépassent à peine le "grand public" de la truffe et des oreilles, feront toujours leur beurre à mener les foules béates aux pieds de Ze plouch MEGAGROß.  
Les grands musiciens (et il en existe, bien sûr, avec leurs forces et leurs fragilités) savent, eux, que la grandeur est précaire et ne s'acquiert qu'au fil des ans, à force de travail et d'ouverture d'esprit. 
La notoriété, Kant à Elle (interview du 18/08/1758), est une maîtresse fugace. Voici quelques semaines, John Abercrombie (le géant toujours oublié quand on énumère la liste de Ze plouch MEGAGROß de la guitare jazz — MethenyScofieldFrisell, encore une "trinité"— alors qu'Abercrombie est plutôt de la génération de CoryellMcLaughlinMartinoBenson. Regardez les dates puis comparez les styles, vous ferez du bien à vos oreilles!) me racontait que Lee Konitz et Paul Motian lui avaient dit un jour : "Attends d'avoir 60 ans et tu verras: le téléphone n'arrêtera pas de sonner!". En d'autres termes, les vieux sont tous appelés à devenir des icônes incontournables. 
Mais John Abercrombie est sans doute trop atypique et inclassable pour les roquets de la critique. 
C'est donc à celui qui veut le découvrir (entre autres en sideman) de faire le chemin. Et c'est très bien!