samedi 7 novembre 2020

Instits ou scions?

Ah là là ! Rien qu’à la lecture du titre de cet article vous devinez que je vais m’en prendre aux institutions de notre belle République. 

D’aucuns déploreront que j’écornifle une nouvelle fois les statues qui ornent notre bel Hexagone. Qu’ils/elles passent leur chemin et ne lisent même pas les paragraphes qui vont suivre : cela ne ferait qu’échauffer leur bile. D’autres se réjouiront qu’une voix (pas la seule, c’est certain, mais il y en a peu d’autres) s’élève pour pointer les dysfonctionnements ou les aberrations que l’on peut remarquer ici ou là. D’autres enfin découvriront des pratiques plus ou moins occultes ou dont il n’est pas évident de se rendre compte quand on est uniquement spectateur de la jazzosphère hexagonale et qu’on n’a pas nécessairement le recul pour mieux voir ce qu’y s’y passe parce qu’on fait simplement partie du public.

 

Max Granvil, pour sa part, ne cherche pas à se battre contre les moulins (à vent, après ou à eau, il s’en tamponne) ou à se présenter en dénonciateur des grands et petits scandales. Mais depuis qu’il a quitté, après plus de 30 ans de longs et boyaux sévices, la noble institution qu’est Jazz Magazine, il apprécie de pouvoir analyser et critiquer librement, ce qu’il lui était impossible de faire dans les colonnes de cette prestigieuse et ancienne revue. Il se plaît aujourd’hui, armé de son fidèle économe, à ôter la peau qui empêche de voir la pulpe institutionnelle et de lui faire rendre son jus souvent saumâtre.

L'économe de votre dévoué eMGé
 

Un exemple ? J’ai (re)découvert voici quelques années, en feuilletant le livre paru voici quelques lustres pour célébrer les 20 ans de notre Orchestre National de Jazz (On Jazz, éditions Creaphis 2007) un fait que je n’avais pas clairement identifié au fil des ans et au fur et à mesure que  défilaient les versions successives de l’ONJ : la place qu’y occupent les musiciens de couleur est minime. Comptons-les si vous le voulez bien : Aaron Scott (dm) avec François Jeanneau (1986), Mokhtar Samba (dm), Etienne Mbappé (b) et Nguyên Lê (elg) avec Antoine Hervé (1987-1989 : le plus « multicolore » de tous les ONJ !), Harry Beckett (tp) chez Didier Levallet (1997-2000), Manu Codjia (elg) chez Paolo Damiani (200-2002)… et c’est tout en 20 ans ! 


 

 

 

 

 

 

 

 

Guitariste? N'Guyên l'est!

 
Mokhtar S.

 

 

 

 

 

 

 

Si l’on met de côté les deux anglo-saxons — l’Américain Aaron Scott et le Britannique Harry Beckett — il reste une toute petite poignée de musiciens « issus de l’émigration », selon la formule consacrée. Or une institution nationale, financée par l’état, n’aurait-elle pas comme obligation morale d’inclure dans ses rangs davantage de représentants de la diversité pluri-ethnique et pluri-culturelle de la société française ? Eh bien quand j’ai souhaité écrire un papier sur ce sujet dans les colonnes de Jazz Magazine, on m’a clairement fait comprendre que c’était hors de question et je suis retourné me blottir dans mon terrier pour panser ma blessure, tout confus et tout dépité.

Mon terrier à moi tout seul
 

J’irai plus loin : quand y a-t-il eu un article conséquent sur un des musiciens « basanés » précités (auxquels on peut ajouter Linley Marthe, Jean-Claude Montredon, Jean-Jacques Elangué, Donald Kontomanou, Mourad Benhammou, Karim Ziad, Rodolphe Lauretta…). Quand a-t-on longuement interviewé l’un d’entre eux (à part Nguyên) ? Soyons clair, je ne soupçonne pas Jazz Magazine de racisme mais il y a clairement une sorte de « plafond de verre » concernant les musiciens issus des DOM TOM ou des anciennes colonies françaises. 

Il y a quelques mois j’ai félicité Fred Maurin (que je connais un peu) pour sa nomination à la direction de l’ONJ, pour son choix de créer un ONJ des jeunes et de former un ONJ mi-hommes mi-femmes. Mais j’ai ajouté « Et quand nous feras-tu un ONJ black/blanc/beur, comme notre équipe nationale de foot ? ». J’attends toujours sa réponse !

L'ONJ de Fred Maurin: beaucoup de lumières mais peu de couleurs!
 

Bref, dans Blog 2 Garenne, je peux me permettre d’aborder ce type de sujets et je ne me gêne donc pas car chacun sait qu’où y’a d’la gêne y’a pas d’plaisir. J’espère donc faire plaisir à mes lecteurs/trices en pointant dans les institutions les recoins où ça coince.

Sur L’ONJ, j’ai déjà pas mal écrit au fil des ans, mais revenons sur une pratique à mon avis fort critiquable. Daniel Yvinec (selon moi le plus discutable des « chefs » de l’ONJ) a un temps confié la direction de cet ensemble au batteur-compositeur américain John Hollenbeck. Ce dernier est-il un si grand batteur ou un compositeur si remarquable qu’il vaille la peine de lui faire traverser l’Atlantique pour diriger un tel ensemble de musiciens français ? C’est très discutable. Derrière tout cela n’y avait-il pas surtout une fascination très « mode » pour le Claudia Quintet d’Hollenbeck, un des groupes phares de la scène newyorkaise qui avait le vent en poupe au début des années 2000 ?

Hollenbeck s'apprête à frapper un grand coup à la tête de l'ONJ
 

Mais un Orchestre National de Jazz français est-il censé se soumettre à une mode passagère (qui, aujourd’hui, se souvient du Claudia Quintet ?  Existe-t-il même encore ? N’y avait-il, aux USA ou en Europe, aucun autre arrangeur plus intéressant à inviter ?…).

Fred Maurin a confié l’orchestration de son programme « Dancing in your Head » — un hommage à Ornette Coleman — à Fred Pallem (les Fred s’aiment, dirait-on). Je ne remets pas en cause le talent d’arrangeur de Pallem, mais lui un « spécialiste » d’Ornette ? Ca se saurait ! Alors pourquoi lui ? Parce qu’ils est depuis des années un confrère de Maurin au sein de l’association Grands Formats qui rassemble un nombre conséquent de grandes formations ? Et puis est-ce le rôle de l’ONJ de faire un hommage de plus, à une époque où cette pratique fleurit et pullule un peu partout (regardez par exemple le programme du Sunset/Sunside). Ras le bol des hommages aux figures tutélaires de l’histoire du jazz, surtout quand la compréhension qu’on a de leur art (esprit et/ou lettre) est passablement discutable. 

Ornette? Pallem l'aime…
 

Ce n’est pas là que se rencontre la créativité du jazz actuel !

Ô Maja ! Ô Maja ! Toi la grande prêtresse du recyclage de trucs du passé, quand cesseras-tu de cautionner ces « hommages à… » ?

Cette invitation faite à des intervenants avant tout prestigieux, Américains ou pas, on la retrouve au CNSMP (le prestigieux conservatoire de Paris). Voici quelques années, son directeur Riccardo Del Fra fit venir Billy Hart pour animer une master-class. Billy me demanda d’y assister et je passai une demi-journée en compagnie des étudiants et du batteur-enseignant. Malgré tout le respect voire l’admiration que j’ai pour le jeu et la carrière de Billy Hart dans tous les contextes où j’ai pu l’entendre sur scène ou sur disque, il ne m’a pas impressionné par ses qualités de pédagogue et l’après midi que j’ai passé au CNSMP ne m’a pas laissé un souvenir inoubliable. Alors pourquoi avoir choisi ce musicien sinon parce qu’il jouit (à juste titre) d’une réputation prestigieuse en tant que batteur, et même en tant que leader du quartet qu’il a formé avec Mark Turner (ts), Ethan Iverson (p) et Ben Street (b), lequel a enregistré deux magnifiques disques sur le label ECM ? 

Billy Hart
Une autre raison se cache derrière cette invitation. A l’issue de la master-class, Billy Hart jouait le soir au sein d’un groupe dirigé par Del Fra dans un club parisien ! Le directeur du CNSMP finance son petit concert avec le budget d’une master-class au sein de l’institution dont il a la responsabilité : bravo l‘artiste ! 

Del Fra
Billy Hart renvoya-t-il l’ascenseur au bassiste italien ? Considère-t-il ce concert parisien comme un des grands moments de sa carrière ? Del Fra a-t-il fait revenir Billy Hart à ses frais pour jouer avec lui par la suite ? Je laisse à mes lecteurs/trices le soin de répondre à ces questions brûlantes avec la sagacité légendaire qui les caractérise. Tous ? Même la petite Gwendoline qui somnole au fond là-bas ? Même Helmut-Heinrich qui baille à s’en décrocher la mâchoire ? Oui, tous, je vous l’assure !

Et puisqu’on parle de la classe de jazz du prestigieux conservatoire parisien, posons-nous une autre question : à sa création les enseignants y avaient pour nom François Jeanneau, Daniel Humair ou Jean-François Jenny-Clark. De leurs classes sont sortis des musiciens de la trempe de Christophe Monniot, Matthieu Donarier, Manu Codjia, Jeanne Added, Emile Parisien, Vincent Peirani…, qui pour la plupart ont participé à deux excellents groupes dirigés par Daniel Humair (le quintet Baby Boom et le Daniel Humair Quartet) et qui tiennent depuis des années le haut du pavé sur la scène jazz française mais aussi européenne (Monniot en Hongrie, Parisien et Peirani en Allemagne…). De jeunes musiciens au talent et à l’ouverture exceptionnelle, qui ont bénéficié d’un enseignement qui n’est pas pour rien dans le développement de ces qualités. 

Jeanno au sopraneau

 

 

 

 

 

Feu JF et sa  basse
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Humair se fait une toile

La Jeanne

 

 

 

 

 

 

 

 

Manuuuuuuu!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Matthieu D.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Christophe M.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ze D.H. Factor ;-))) 

 

Un quartet européen
Question : quel étudiant de ce niveau a-t-on vu sortir ces dernières années de cette vénérable institution ? N’y a-t-il pas des questions à se poser sur la valeur des enseignants qui ont succédé aux trois grands musiciens-profs cités plus haut ?

Je ne reviendrai pas sur ce qu’il y aurait à dire à propos d’une bonne partie des grands festivals de jazz « institutionnels » français. Que le lecteur curieux parcoure les anciens articles de Blog de Garenne et il n’aura aucun mal à se faire une idée de ce que j’en pense. Insistons cependant sur les différences que présentent ces festivals avec leurs confrères européens. A Bergame, dans le nord de l’Italie, la direction artistique du Bergamo Jazz Festival change tous les trois ou quatre ans. S’y sont succédés des Italiens comme Paolo Fresu ou Enrico Rava mais aussi des Américains comme Uri Caine ou Dave Douglas. Dernièrement c’est une musicienne italienne, la chanteuse Maria Pia De Vito qui s’est vu confier ce poste. Des étrangers ? Une femme ? Impossible en France !

 

Maria Pia De Vito

Dave & Uri

Paolooooooo!


 

 

 

 

 

 

 

Zomer Jazz Fiest Tour, Groningen, NL

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Toujours en Italie, en Sardaigne plus précisément, Paolo Fresu, l’enfant du pays, dirige un festival dans et autour de son village natal : Berchidda. Mais cette direction est tout sauf hégémonique et les projets artistiques que met en avant Paolo peuvent inclure aussi bien Steve Coleman présent plusieurs jours dans différents contextes, des Nordiques comme Eivind Aarset invité à former un duo inédit avec son confrère guitariste Nguyên Lê, des rencontres entre des souffleurs de launeddas sardes et des souffleurs de cornemuse bretons… bref, une programmation éclectique et inventive, loin des modes et des institutions officielles. En Norvège, au Natt Jazz de Bergen, le directeur de l’époque Bo Groeningsaetter (décédé depuis) m’avait confié que lors d’une précédente édition du festival lui et son équipe s’étaient rendus compte, après avoir établi la programmation, qu’ils n’avaient pas pensé à inclure un seul groupe américain ! Possible chez nous, dans un grand festival ? De la même façon l’an dernier au Zomer Jazz Fiest Tour de Groningen, au nord des Pays-Bas — un festival où l’on se déplace à vélo d’un concert à l’autre — on pouvait entendre des petits groupes hollandais, allemands, portugais, et même un trio grec, mais pas une seule formation française. Après tout quand voit-on des Bataves en France ? Pourquoi tiendraient-ils davantage compte de nous que nous ne nous soucions d’eux ? Allez un peu checker sur le net les programmes de Jazz Baltica ou du festival de Moers en Allemagne, du Tampere Jazz Meeting en Finlande, du festival d’Umeå (prononcer Oumyo) en Suède, du festival de Clusone en Italie… sans parler de celui de Jarasum en Corée du Sud où la programmation est particulièrement éclectique et où la moyenne d’âge du public tourne autour de 20 ans… et vous comprendrez que chez nous l’ouverture d’esprit n’est pas la caractéristique principale. Il ne s’agit même pas d’une critique mais d’un constat, fruit d’une simple comparaison avec ce qui se passe ailleurs.

Armant mais niant dans son fauteuil Roche beau bois
 
Et puis si, tiens, je vais en critiquer un : Armand Meignan, le directeur de l’Europa Jazz du Mans, des Rendez-vous de l’Erdre à Nantes et co-boss (avec Paolo Damiani) du festival franco-italien Una Striscia di Terra Feconda à Rome, sans compter son poste à la tête de l’AFIJMA devenue depuis quelques années l’association Jazzé-croisé et reprise en main par Philippe Ochem, le boss du festival Jazzdor à Strasbourg et Jazzdor Strasbourg-Berlin dans la capitale des Teutons (et des Teutonnes aux tentants tétons, dirait notre ami Jacques Réda). 
 
Les Teutonnes…

Quadruple casquette (quadruple salaire ?) pour Meignan, que j’appelais naguère « le Louis XIV du jazz français ». Ce haut-fonctionnaire de la jazzosphère hexagonale a osé prétendre un jour que Louis Sclavis (dont il est un fan éperdu : je ne sais qui d’entre eux deux fournit la vaseline, mais… — putain qu’il est niaiseux ce Max Granvil ! C‘est pas dieu possible !) était le plus grand improvisateur européen ! Quand Europa Jazz a fêté ses 25 ans, Sclavis a eu droit à 25 concerts au Mans et environs. Rien que ça ! 
 
 
Louis S. 1,72m : le plus grand improvisateur européen?

Mais Meignan a des excuses : il a peur en avion donc il voyage peu et toujours en train (avec entrain ?). Il ne connaît apparemment pas bien les improvisateurs européens qui lui permettraient de mettre Sclavis à sa place sur la deuxième étagère en haut à gauche. Des noms ? Vous souhaitez que votre eMGé s’adonne une fois de pluche au name dropping ? OK, vous l’aurez voulu : my main man Evan Parker (UK), il grandissimo suonatore di clarinetto Gianluigi Trovesi (Italie), der Meister Schlagzeuger Günter « Baby » Sommer (Allemagne), el gran sax y flautista Jorge Pardo (Espagne), notre voisin helvète et batteur-percussionniste Pierre Favre ou son ex-élève Lucas Niggli, l’excellent pianiste Tord Gustavsen (Norvège), le grand batteur vétéran Han Bennink (NL), notre ami Belge (say tü, une foy), Philip Catherine, der gross Saxophon und Flöte Spieler Wolfgang Puschnig (Autriche) et Jean Pass (le cousin de Joe Pass) Ed-Aimé Yeur !… Et encore une fois je n’ai cité que des hommes. Pardonnez-moi, les Frangines. Je vous assure que bientôt je me rattraperai et vous laisserai la place d’honneur. Bientôt, c’est juré, mais c’est un secret. Alors pour l’instant, Bocuse et touches moussues (motus & bouche cousue, en franco-latin) 
 
Gunter "Baby" S.

 
Gianluigi T.

Deux Gémeaux valent mieux qu'un!
Mes lecteurs comprendront donc pourquoi j’adore bourlinguer hors de nos frontières, et comment j’y ai acquis une vision panoptique du jazz européen voire mondial, vision que ma générosité naturelle — et proverbiale — me pousse spontanément à partager avec vous, lecteurs/trices aimé(e)s — oui toi Angelica, toi Abderrachid, toi Gudrun et même le petit Pedro qui se cache là-bas au fond. 

Max Granvil à Stavanger (Norvège) en compagnie d'une poignée d'acteurs du jazz mondial
 

Merci qui ?

Max Granvil

 



dimanche 1 novembre 2020

Alexandra Grimal, souffleuse-chanteuse-compositrice… (mais où va-t-elle chercher toussa?)

 Alors que — confortablement calé dans mon fauteuil vintage en cuir véritable qui trône dans mon luxueux et spacieux bureau où mon majordome vient de me servir une copieuse dose de Caol Ila 18ans d'âge —  je m'apprête à mettre en ligne l'article ci-dessous consacré à Alexandra Grimal, j'entends dans l'immense parc qui jouxte ma somptueuse demeure mes petits-enfants et petits-neveux qui jouent en chantonnant "Allez Xandra! Allez Xandra! Allez!" 

Le parc de ma somptueuse demeure au lever du soleil
 

Ces gamins ont tout compris (il faut dire que je les ai abondamment briefés en leur faisant écouter la quasi totalité de la discographie de Miss Grimal) : Alexandra, c'est grave de la bonne came! 

Lisez un peu ce qui suit et on en recause à l'occaz. Vous remarquerez au passage que j'alterne habilement critique et éloge : un coup je démonte Keith Jarrett, un coup j'encense Alexandra Grimal.

Deux de mes petites-nièces, perchées dans un arbre et potassant la bio d'Alexandra Grimal
 

Voici quasiment une année, dans un article intitulé « Gender studies, 1° partie » et consacré aux musiciennes de jazz étrangères, j’affirmais qu’en France, parmi les jeunes jazzeuses, seules Géraldine Laurent et Alexandra Grimal étaient à la hauteur de leurs consoeurs européennes.

Il y a quelques mois, Alexandra a confirmé mon opinion en publiant un magnifique double CD sur lequel elle propose un solo de saxophone soprano, d’une part, et un solo vocal en compagnie du spécialiste de l’électronique Benjamin Lévy d’autre part.

Géraldiiiiiiine!


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alexandraaaaaaa!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un solo de soprano ? Mais qui ose ou a osé ça, en studio ou en live ? Steve Lacy, Evan Parker, Sam Rivers… et pas grand monde à part ces trois là, à ma connaissance.

 

Steve L.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Sam R.

 
Evan P.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et cette petite Alexandra, à peine quadra (elle est née en 1980) se hausse-t-elle au niveau des trois cadors précités ? Eh bien oui, mes ami(e)s ! (vous êtes toujours mes ami(e)s, hein, dites ?) Tout d’abord parce qu’Alexandra possède un des plus beaux sons de soprano qui se puisse entendre dans ce monde de brutes. On peut la placer sans problème aux côtés (chacun dans son style) de Steve Lacy, Evan Parker (once eugène), Emile Parisien, Stefano di Battista ou Dave Liebman. 

 

Stefano

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dave

 
Emile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elle a forgé cette sonorité au fil des ans et a clairement atteint, sur ce solo, une resplendissante maturité. Le son est fruité, fluide, charnu et en même temps d’une grande délicatesse qui n’exclut pas les montées en puissance. Hors de question d’écouter ce disque d’une oreille distraite en passant l’aspirateur, en lavant la vaisselle ou en lisant son journal. Bien qu’il se déguste sans effort, comme un grand vin qui vous inonde le gosier, ce solo nécessite en même temps une écoute attentive, à la hauteur de l’investissement d’Alexandra dans l’acte créateur. 

 

Un grand vin qui coule tout seul: le Morgon! (la boisson favorite de Zola parce que Morgonzolla — Hi! Hi! Hi!, qu'il est con ce Max Granvil)

En ce qui concerne le phrasé et l’improvisation, Alexandra nous enchante par sa sensibilité autant que par son intelligence musicale. Sa musique respire, laissant une belle place au silence, osant la mélodie, tournant autour du beau sans tomber dans le piège de la joliesse ou de la séduction. La « technique » — dont on peut se contrefoutre, mais je sais que certains sont fascinés par cet aspect des choses — est présente sans jamais rouler des mécaniques, et elle se fait oublier tant le jeu (dans le sens de celui des enfants) prend le dessus, avec son lot d’innocence, de simplicité, d’étonnement devant la beauté… 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Benjamin Lévy

Bref, ceux qui n’acquerront pas ce CD ou ne l’offriront pas à leurs proches (c’est bientôt les fêtes !) seront profondément dans l’erreur, seront impardonnables et je refuserai désormais de leur adresser la parole (non mais !).

Car, en plus de ce splendide solo, Alexandra se lance sur le second CD dans une aventure inédite (autant que je sache) et qui n’a rien d’une expérience de laboratoire, d’une « branlette intello » (pardon my vulgarity). Faire transformer sa voix (parlée ou chantée) par l’électronique — et je ne suis guère fan de cette technologie, habituellement — se révèle non seulement parfaitement cohérent, mais produit des effets sonores totalement convaincants. On est loin ici de la performance technique et on côtoie de nouveau la beauté à plus d’une reprise. 

 

Le CD en question

Ce duo voix-électronique nous entraîne sur des chemins inattendus aux paysages enchanteurs, de petites « îles langoureuses où la nature donne des arbres singuliers et des fruits savoureux », aurait dit Monsieur Baudelaire. Ce CD s’adresse — plus que l’autre qui reste (sans que cela soit restrictif) un disque de jazz — à tout auditeur, quels que soient ses goûts musicaux, prêt à plonger « au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ! » (encore et toujours Charles B.). 


Baudelaire peint par son pote Gustave Courbet

Le voyage que nous proposent Alexandra et son complice Benjamin Lévy est susceptible de ravir toute oreille ouverte et sensible, toute personne qui accepte de se faire entraîner par ces deux magiciens vers des rivages sonores inouïs.

 

Oreilles ouvertes et attentives

Allez écouter, et faites passer le message (c’est un ordre, évidemment !).

Plus tôt dans l’année, Alexandra a publié un autre disque, en duo avec le pianiste italien Giovanni Di Domenico, qu’elle connaît fort bien puisqu’ils se sont rencontrés en Hollande au début des années 2000, alors que tous deux étudiaient à La Haye. Elle a souvent joué avec ce pianiste et a enregistré avec lui à plusieurs reprises, en duo ou en quartet. J’avais aussi eu l’occasion de les voir/entendre à Paris dans une petite église voici quelques années. 

 


Giovanni Di Domenico

Bref ce duo a une longue histoire et son évolution au cours des ans est particulièrement intéressante à suivre. En effet l’empathie entre les deux musiciens est palpable et, si je devais faire une comparaison, je les rapprocherais du duo de feu Jean Lee et my main man Ran Blake (pas moins !), et pas seulement parce que sur ce dernier CD Alexandra chante en plus de jouer du soprano. 

 


A propos de son jeu, je n’ai rien à ajouter par rapport à ce que j’ai dit plus haut sur son solo dans  le double CD « The Monkey in the Abstract Garden ». Peut-être devrais-je quand même dire qu’en duo son soprano est par endroits plus intense qu’en solo, ce qui est parfaitement bienvenu d’autant plus que le jeu du pianiste suit ou suscite ces variations d’intensité. Di Domenico est — c’est évident à l’écoute de « Down the Hill » — un musicien de premier ordre, un pianiste à la sonorité et au phrasé totalement originaux, qui a donc sa propre voix, et c’est un régal d’écouter son comping, ses voicings, ses arpèges en compagnie du saxophone ou de la voix d’Alexandra. J’ai eu la curiosité d’aller visiter le site web de Di Domenico et j’ai été sidéré par son impressionnante discographie (entre autres sur son propre label). Je ne sais pas s’il est connu en Italie, son pays natal, en Hollande où il a étudié ou en Belgique où il réside, mais on aurait tout intérêt à mieux le connaître en France car objectivement personne ne joue comme lui ici.

Donc ce duo est à écouter absolument, au même titre que le double CD dont je parle plus haut.

Alexandra publiera dans quelques mois d’autres enregistrements que, personnellement pour ma part Hans-Kim Konzern, j’ai hâte d’entendre. Je ne sais pas si j’ai réussi à susciter votre curiosité envers cette musicienne exceptionnelle, l’une des plus intéressantes de la jazzosphère — et pas que — contemporaine. Mais, si vous voulez bien suivre les conseils de votre dévoué Max Granvil, arrêtez de vous intéresser à la plupart des jazzeux/jazzeuses dont on vous fait la promo ici où là et concentrez-vous sur Miss Grimal. Vous ne serez pas déçu(e) du voyage et vos oreilles vous en seront éternellement reconnaissantes, je vous le garantis.

Max Granvil 

Max Granvil dans son magnifique uniforme de blogueur/critique de jââââze
 

Alexandra Grimal/Benjamin Lévy : « The Monkey in the Abstract Garden » (OVNI/Orkhestra)

Alexandra Grimal/Giovanni Di Domenico : Down the Hill (pas de label)