mardi 31 janvier 2012

Express de jazz de bourges de… (il est toujours bon d'avoir trois particules!) Tome II



Allez, ouste, on achève cet épluchage du Orsay Rit/Ex Presse. On n'a paxa à faire, quoi!

Que dire sur les quatre pages dévolues au jazz vocal dans cet Expressojazzobobo ? Le jazz vocal — surtout féminin — est le seul gros vendeur de cette musique de niche qu’est le jazz. Alors 6 voix (dont 5 femmes !) présentées comme les « nouvelles voix du jazz », c’est bon pour les affaires, mais ça ne peut être qu’un choix arbitraire.
Passage en revue sans entrer dans le détail, donc : Gretchen Parlato, la savonnette sophistiquée à la dernière mode, se vend bien question image. Quand on l’entend chanter certains (votre serviteur, entre autres) déchantent. L’avenir tranchera. Cassandra Wilson : nouvelle ? Ah bon ? Pas plus que Dianne Reeves ou Nnenna Freelon en tout cas. Alors que fait cette quinqua dans ce lot-là ? Le Cohérence Express a raté une gare, apparemment. Deux Blanches US, deux Blacks US & une Asiatique (Youn Sun Nah : irréprochable), c’est gravement oecuménique, Brother ! Mais y’a donc pas de chanteurs/euses en Europe ? M’est avis (sauf erreur eu d’ma part et sauf vot’ respect, Messieurs de l’ex-presse) que c’est plutôt là qu’on trouve de NOUVELLES voix : Jeanne Added, Fay Claassen, Sidsel Endresen, Cristina Zavalloni, Elise Caron, Susi Hyldgaard, Jeanette Lindström, Maria-Pia De Vito, Claudia Solal, Susanne Abbuehl (j’ai volontairement mêlé les âges, comme vous mes seigneurs, et je ne vais pas jusqu’à Norma Winstone ou Urszula Dudziak)… sans compter cette petite merveille franco-américaine qui n’a pas encore enregistré : Cécile McLorin-Salvant ! Prendre des risques, Messieurs les ex-précieux (et le faire exprès, rien que pour faire découvrir au public des valeurs montantes) n’est-ce pas l’essence du jazz, que vous prétendez présenter. 
Hors série ? Je me marre ! Serial formatage, plutôt, bien dans les rails et lisse et beau.
La Jeanne (on dit bien "la Caballé")

La Cécile (on dit bien la Callas)
Bien sûr les plus avisés de mes lecteurs (toi, Esteban, toi Gudrun…) auront remarqué que j’ai omis les chanteurs européens. C’est pour mieux vous en livrer une pleine bottelée illico : David Linx, Gabor Winand, Thierry Péala, Ian Shaw, Michael Schieffel, Grzegorz Karnas… 
A vous de gougueuler sur eux !

Ach, la Frantz, maintenant (aka fuckin’ right now) ! Deux pages, deux photos : ein Zoloist (Pierrick Pedron — que lui joue le Alt-Sax in E moll) und ein Orkester (le MegaOctet d’Andy Emler — que lui être fantastisch, ja, ja !) en vitrine… et un contenu d’article qui passe de façon si ex-presse sur cette  « tendance » de la « jazz actu », et avec tant de wagons de poncifs et d’approximations à la traîne qu’on en reste rêveur. 
Titre : « Les Français décomplexés ». Je cite : « … A l’heure de la mondialisation, le jazz en France ne se résume pas au jazz français … » Ja, ja, ça être bokoù véritable, mais ça n’a rien de nouveau, ni en France ni ailleurs. Au cours des fifties/sixties Ben Webster, Kenny Clarke, Sydney Bechet, Red Mitchell, Dexter Gordon, Bud Powell, Chet Baker, George Russell, Gato Barbieri, Don Cherry, Dollar Brand, Ed Thigpen, Okay Temiz, Chris McGregor (é Jean Pass ed Aimé Yeur) vivaient à Paris, Copenhague, Londres, Stockholm, Amsterdam, Rome, Oslo… Okour D. Seventies, ils seront suivis par L’Art Ensemble of Chicago, Anthony Braxton, Steve Lacy, Charlie Mariano, Phil Woods, Mal Waldron, Art Farmer, Johnny Griffin, Eric Watson, Steve Potts, John Betsch, Ronnie-Lynn Patterson, Nelson Veras… tandis que les USA voyaient arriver — après George Shaering, Victor Felman (UK) ou Bernard Peiffer (F) — John McLaughlin, Dave Holland (UK), Joe Zawinul (A), Jiri Mraz, Miroslav Vitous (CZ), Joachim Kühn (D), Jean-Luc Ponty (F)… bientôt suivis par Michel Petrucciani, François Moutin, Laurent Coq, Etché Terra, tandis que Marc Ducret (qui joue et enregistre par ailleurs aux States avec Tim Berne ou Bobby Previte) quittait Paris pour CPH et qu’Hasse Poulsen (qui joue entre autres en France avec un sax allemand et un batteur français au sein de Das Kapital, le trio qui troue l’cul) déménageait de CPH au Lilas. 
Profitant de ce remue-ménage, Bojan Z, Akosh S, Gabor Gado, Emil Spanyi, Joe Qitzke, Gueorgui Kornazov et tout un wagon de Slaves venaient s’installer sans tapage à Paname, Omar Sosa posait ses valises à Barcelone, Kurt Rosenwinkel à Berlin, Jean-Jacques Elangué revenait du Cameroun à Paris où vivaient déjà Brice Wassy, Paco Séry, Richard Bona, Hervé Samb… 
George Shearing




Little Giant

Omar
Nelson
Hasse


Akosh


 Justement, zarbi autant qu'étrange en diable : pas un mot sur les Africains du jazz dans cet Expresso molto ristretto, à part une pub — payante donc — pour un concert de Manu Dibango ! Ah si : deux lignes sur le Béninois Lionel Loueke, uniquement présenté comme sideman de Terence Blanchard et d’Herbie Hancock alors qu’il dirige ses propres groupes et se trouve être le premier artiste africain signé par le label Blue Note depuis 1939 ! 
Jean-Jacques Elangué & Tom McClung
Sawadu: Hervé Samb/Hubert Dupont/Brice Wassy
Par contre, dans un papier intitulé « Le jazz à l’heure de la mondialisation », figure en bonne place une photo de la fratrie Cohen, nommés un à un ainsi qu’Avishai Cohen (le bassiste/pianiste/chanteur) — sans lien de parenté, mais Israélien lui aussi. 
…ou mondialise à Sion?

Cherchez l’erreur : on parle bien de jazz ? D’une musique inventée à l’origine par des descendants d’esclaves Noirs venus d’Afrique, c’est bien ça ? Et pas un seul jazzman issu du continent Africain n’est cité tandis qu’on en mentionne quatre venus d’un pays d’à peine 8 M d’habitants,  une nation plus jeune que le bop, et dont la contribution à l’histoire et à l’actualité du jazz se réduit en gros à une poignée de cacahuètes casher ? 

« Boss, me conseillent mes sbires Marco et Paulo, calmez-vous ! Si le lobby sioniste est derrière tout ça on pourra pas assurer votre protection, vous savez. Regardez : y’z’ont déjà quasiment interdit de séjour Gilad Atzmon, qui joue presque jamais en France parce qu'il est pro-palestinien… ». Ces p’tits gars sont sagaces et leur fidélité comme leur attachement à ma personne me confondent. Ils ont raison, palsembleu, tabernacle et saperlipopette : face aux moyens des services secrets d’un état qui traite les Palestiniens comme du bétail, tous deux ne font pas le poids et moi-même je ne pèse pas lourd, même après les excès de fin d’année, la vérité si j’mens. Restes-en donc là, EmGé, torah pâle derniers maux. Et ajoute voir Gilad Atzmon à ta liste des vaillants immigrés (il vit à Londres et enregistre sur Enja, un label allemand) qui depuis des décennies enjambent les frontières, butinent à tout va et fécondent le jazz international tels de foutues abeilles… ce que devrait savoir la rédaction d’un hors ces ris où émarge un ancien… douanier !
Gilad Atzmon: www.gilad.co.uk/
Je laisse mon vieux pote Yessy Ndid conclure sur ce sujet : « La közmåpølitismùs, lui êtrrre tendanz lourde de la jâze dépuich trrré bokoù lontààn, niet ? » Tu l’as dit, mon vieux pote, yes indeed !

Mais la vraie conclusion, la voici : chaque fois qu’on prétend faire accéder un large lectorat à un art de niche (le jazz en l’occurrence : +/- 2% du marché du skeud), au lieu d’initier le lecteur en l’élevant vers une meilleure connaissance de cet art (à laquelle il est censé aspirer), c’est au contraire cet art qu’on avilit à coups de clichés éculés pour le faire entrer de force dans les critères étriqués de « la grande (ex-)presse ».
Rien de nouveau sous le soleil, donc. Et c’est même pire par temps nuageux, pardi !

Voici quelques années, sur une chaîne publique vers 23h-cinquante-douze, Laura De L’Air — ex-maîtresse de Mitterrand et cheftaine du Cercle Demi Nuit — coupait la parole à un éminent jazzman alors qu’il faisait un parallèle lumineux entre jazz classique et moderne (d’un côté) et peinture figurative et peinture abstraite (de l’autre). La réplique de l’hôtesse De L’Air  (vous la sentiez venir, avouez !) : « Oui mais alors là, les téléspectateurs ne vous comprennent plus ! » Oh yes? Les téléspectateurs du Cercle de Minuit ? Encore devant leur poste de télé ‘round about midnight, par un choix délibéré de leur faculté d’entendement (et peut-être avec le soutien de quelques substances stimulantes plus ou moins légales) ?
   Mais ce-la-ne-nous-re-gar-de-pas.
   Tout à fait, mon cher Thierry, le fait que ces téléspectateurs noctambules prennent éventuellement de la coke ne-nous-re-gar-de-pas).
Dans le cadre d’une émission post-post-post-prime time consacrée au jazz ?
Dis, t’as appris quoi dans le pieu de Tonton, Laura D’Lair ? Hein, dis ? 

Ben c’est kif kif si on revient à nos moutons tondus express, coupe tendance jazz.
Alors que Vi Bi (le rédac’ chef de ce Orsay Riz) avait voici peu magistralement organisé à La Villette une expo Miles au cours de laquelle néophytes et connaisseurs se régalaient de conserve, lui, Al Di et leurs potes se sont cette fois-ci emmêlé les pinceaux dans le paillasson rugueux d’un grand hebdo national. Certains diront qu’Al Di c’est toujours mieux que Norma. Sûr, mais comparé à Lee d’Aile et à Lee d’Airpraïce (qui, eux, ont des particules)…

On comprendra que, dans ces conditions, EmGé renonce à éplucher davantage un « Spécial Jazz » gouverné par « le souverain poncif ».
A sauver dans tout ça : un sélection de disques copieuse, sinon originale (mais on est dans l’initiation, donc…), quelques « stories » sur les figures tutélaires (Armstrong, Ellington, Miles…) comme on en lit un peu partout, quelques photos vintage bien choisies, & Chet & (Sun) Ra .

Et pour terminer, en guise de bêtisier, un petit exercice à partir de la page politiquement correcte de ce Horse & Ris, dévolue comme il se doit à la minorité féminine dans le jâze.


Un ténor, un profil avantageux, des talons hauts, des bretelles, des cheveux longs, un décolleté discret et un sourire de Joconde + une brève légende : « le jazz se féminise » : voilà qui permet de se passer d’un topo sur la musicienne, ses influences, ses choix stylistiques, son jeu.
Pauvre icône, si tu croyais être traitée comme un homme !

I Questions :
1)    De quel sexe est l’auteur de l’article illustré par cette photo ?
2)    De quel sexe est le public-cible dudit article (et de la photo) ?

II Commentaire :
Vous analyserez la phrase suivante, extraite de l’article d’Al Di : « Au passage, il faut rendre hommage aux chanteuses qui maintiennent la tête hors de l’eau au marché du jazz : elles en sont la bannière crédible pour le grand public ».
Votre réflexion pourra s’orienter vers
1)    La part de responsabilité des chanteuses dans leur présence sur scène, en tête de gondole et dans les médias par rapport à la part de responsabilité des producteurs, agents artistiques, journalistes amateurs de blondinettes, programmateurs…
2)    La pertinence de la notion de « crédibilité », concernant une musique qui a fait le tour du monde en un siècle ainsi que la pertinence de la notion de  goûts du « grand public ».

(Pour votre commentaire, vous tiendrez compte du fait que, dans le contexte des années 2010, ce « grand public » est plus que jamais gavé de pub, de télé, de blockbusters, et autres merdes.
      Vous n’oublierez pas non plus que dans les années 1940 le « grand public » préférait Harry    
      James à Duke Ellington et à Count Basie.)

1 commentaire:

  1. Impek ce papier..

    J'avais moi-même dénoncé ce storry-telling de "l'éclosion des femmes" dans le jazz (sans parler des concerts "Ladies Night"... arrghhh), alors que celles-ci ont toujours tenu un rôle important dans cette musique .

    Ce qu'il faudrait surtout décrire c'est la permanence du machisme dans ce milieu en général, et chez les critiques en particulier qui avec cette histoire se sont fait une bonne conscience à peu de frais... c'est un papier qui reste à écrire.

    Quant à moi, je continuerai de juger un(e) musicien(ne) à ce qu'il (elle) joue, et seulement sur ça.

    En tout cas, rien que du bon sur ce blog !!
    Cograts and keep up !

    Laurent.

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