Jorge
Rossy Vibes Quintet, Espace Sorano, Vincennes, 12/01/2019
L’Espace
Sorano, à Vincennes — une fois qu’on a trouvé comment s’y rendre dans le dédale
des petites rues qui y mènent—, il faut bien
avouer que la première impression qu’on en a c’est que c’est un repaire
de « jazzabobos », tant au niveau de la programmation que de la jolie
galerie photos qui orne ses murs (90% de jazz français, 80% de
trentenaires/quadras — Eric Legnini, Jérôme Regard, Logan Richardson, Pierrick Pédron, Vincent Peirani, Bojan Z…
avec évidemment les inévitables vétérans Portal/Texier/Aldo, plus quelques
quinquas comme Jacky Terrasson et les Belmondo, très peu de
« basanés » — Donald Kontomanou, Kirk Lightsey… en plus des deux déjà
cités, Logan et Jacky) que du profil du public (qu’on a scanné à l’arrache,
reconnaissons-le : 60% de têtes grises, pas un seul moins de 20 ans, quelques
quadras/quinquas… on est plutôt chez les bobos-ex-babas que dans le cœur de
meule de la boboïtude, les 25/35 ans qui pullulent au Bataclan, à La Cigale et
autres salles privées parisiennes.
Mais
que fous-je là, alors, fichtre ? Se demandera-ton.
Ben,
je viens écouter le quintet de Jorge Rossy — que je n’ai jamais entendu au vibraphone,
ni avec Mark Turner et Al Foster. Quant à son guitariste au nom catalan (après
vérification il l’est) je n’en ai jamais entendu parler. Reste Doug Weiss, le (encore)
jeune bassiste à tout faire, que j’ai entendu un peu partout.
Bref,
voilà une formation qui, sur le papier, promet a priori d’être intéressante,
d’autant qu’elle ne joue qu’une soirée en France au cours de sa tournée
européenne. (Une seule date en France ? Soit les programmateurs ont écouté
le disque qui ne les a pas convaincus, soit ils sont peu intéressés par un « vibes
5tet », soit… je n’sais pas trop.
En
tout cas, à Sorano/Vincennes, les membres du 5tet sont chez eux : le
programmateur du lieu, Vincent Bessières, est aussi le boss du label sur lequel
est sorti leur skeud en 2018, et c’est lui qui en a rédigé les notes de pochette.
Qu’il les inclue dans sa programmation n’est donc que la suite logique d’une
démarche volontariste qu’on saluera au passage… si on admire ce genre de
volontarisme.
Avant
le concert la chargée de programmation de Sorano annonce le programme des mois
à venir et nous confirme qu’il s’agit bien d’un public «baba/bobo » (ou
« Télérama », si l’on préfère). Le sous –directeur de Sorano lit ensuite
un texte de Vincent Bessières (il est à NYC, le pauvret, à se cailler les
miches au beau milieu de l’hiver newyorkais alors qu’à Vincennes on a les
giboulées de mars en janvier et la douceur du climat est proprement angevine —
« …et plus que l’air marin la douceur angevine », dit Du Bellay, in
« Heureux qui communiste », euh, pardon « comme Ulysse »),
lequel texte nous fait une mini-bio de Jorge Rossy et passe à l’auditoire une
couche de vaseline propre à rendre la préhension de la musique plus fluide pour
ceux qui ne se seraient pas encore fait une idée avant de venir à Sorano, ou pour
ceux qui ont besoin qu’on les tienne par la main (ou plutôt par les oreilles,
en l’occurrence) jusqu’au bout du bout du chemin, je croix.
Allez,
c’est parti : un morceau soft, presque une ballade sur laquelle Mark
Turner déploie sa sonorité ample et sinueuse. On sait ce que ce saxophoniste a
fait de l’héritage conjoint de John Coltrane et de Warne Marsh, mais
aujourd’hui (du moins avec ce groupe) il se cantonne dans une « zone de
confort » où il n’explore quasiment plus les limites graves et aigües de
son ténor. Il produit de jolies phrases (comme son collègue-leader
vibraphoniste) et le pauvre Al Foster — qui a pourtant montré pendant le
soundcheck qu’il était capable
d’ « envoyer la purée » en est réduit à une battue métronomique
et ne prendra pas un seul de ces solos
terrifiques qui ont fait sa gloire et sa réputation avec Miles, Sonny ou Joe
(Henderson).
Car
si c’est pour aligner des morceaux en tempo lent ou médium, on se demande à
quoi sert Al Foster, sauf à apporter le mieux-disant cultu(r)el de son âge, de
sa « vétéranitude » légendaire.
Car
pas un morceau (sauf l’avant-dernier : on y arrive bientôt) ne sera joué
up tempo, comme si ces musiciens avaient peur de la vitesse et des frissons
qu’elle procure aux âmes bien nées qui ne craignent ni la prise de risques ni
le cassage de gueule.
Ici,
tout est non seulement en tempo moyen-lent, mais se déroule dans un contexte
harmonique confortable. Jamais ça ne « frotte », jamais on ne bascule
dans un de ces « vides harmoniques » dont un John Scofield —par
exemple — s’était fait une spécialité un temps. C’est donc joli, mou du genou
et parfaitement digeste. Le guitariste, Jaume Lliombart (qui restera assis sur
son tabouret haut durant tout le concert, les pieds à 20 cm du sol) n’utilisera
par définition aucune pédale d’effet : on est dans un son
« bio », vaguement organique, qui ressemble à s’y méprendre aux menus
insipides de ces restaurants végans qui pullulent dans la capitale. Bref, le
« sound of surprise » qu’est censé être le jazz, on le cherche
vainement.
Qu’on
ne s’y méprenne pas : tous ces gens jouent très bien, dans leur catégorie
et à leur niveau, mais on se prend à rêver d’un sexa/septua couillu (ou d’un
jeune fou furieux/curieux) qui leur botterait un brin le derche et les ferait
accoucher de l’énergie qu’ils doivent bien porter en eux, bien tapie quelque
part sous un couverture indienne en laine vierge non peignée achetée chez
Naturalia (le seul magasin qui vous vend les cailloux que vous pouvez ramasser
sur les chemins de nos belles campagne, si vous sortez un peu de la ville et de
ses banlieues huppées, j’te f’rai dire).
Bref,
je me suis globalement fait chier et j’en veux un peu à Jorge Rossy (avec qui
j’ai eu une discussion assez tonique et amicale en loges — et à moitié en
espagnol (¿ Hola, hombre, que te parece de mi quintetto con vibrafono ? ¡Digame
por favor amigo !) — pendant le repas avant le concert, de ne pas avoir
transposé la verve qui l’animait alors en boutefeu pour une musique qui manqua
cruellement de flamme.
Je
me rends compte que je n’ai quasiment pas parlé de Doug Weiss : en tant
que bassiste il a assuré en permanence, mais d’une façon si discrète qu’on
l’entendait à peine les trois quart du temps. Lui et Al Foster auraient pu être
la paire harmonico-rythmique atomique qui aurait fait léviter cette barcasse de
« vibes quintet » et l’aurait transformée en fier galion sans peur et
sans reproche, en « navire glissant sur les gouffres amers »
(Baudelaire : « l’Albatros »).
Il
n’en fut rien et sous les applaudissements polis du public vincennois le
quintet quitta la salle content d’avoir contenté son auditoire qui, c’est
évident, n’en demandait pas plus : la version musicale du fameux « ça
m’suffit », quoi.
Eh
bien, public soranesque et néanmoins vincennois, s’il en est ainsi, repais-toi
de la bouillie tiède qu’on t’a servi et ne va surtout pas checker sur le net Al
Foster en compagnie de Miles, Sonny ou Dexter Gordon : tu risquerais
de penser qu’on t’a arnaqué ce soir de
janvier doux et pluvieux où trois Américains et deux Catalans ont arrosé
l’espace Sorano de la pluie tiède qui leur coulait des doigts. Saluons
toutefois le solo absolu d’Al Foster qui
mit toute son énergie et son talent dans un morceau intitulé « Aloysius »
(son vrai prénom) qu’il mena (enfin) de main de maître. Cet avant-dernier titre
du répertoire fut le seul morceau à être joué up tempo, le seul hard swingueur
qui déchira sa reum et poussa l’auditoire à exploser en applaudissements qui ne
se préoccupaient plus de politesse.
Mr. Aloysius "mthrfckr" Foster pendant le sound Sheik (Yerbooty, comme disait Frank Zappa) !!! |
Bref
cet « Aloysius » fut une bénédiction, une preuve supplémentaire de
l’existence d’un dieu bon qui nous fait plein de papouilles viriles et de
bisous toniques, mais qui, le pauvret, n’est pas assez puissant pour nous
éviter l’ennui pendant l’heure qui précède. Un ennui, au passage, que
Baudelaire (encore lui !?) présente comme un monstre familier et dont il
nous dit : « Tu le connais, lecteur, ce monstre
délicat,
— Hypocrite lecteur, — mon semblable, — mon frère ! ».
— Hypocrite lecteur, — mon semblable, — mon frère ! ».
Sur
ce, Ô mes frérots et soeurettes, je replie mon MacBook et m’en vais me pieuter
avec le sentiment du devoir accompli, une sensation terriblement réconfortante
et apaisante. Essayez-la un jour et vous verrez par vous même.
@chao
amigos & hasta la vista, Babies !
Thierry
Quénum
le Vibes 5tet de jorge Rossy (à droite 2 les crans — moins Jaume Lombart (elg) caché toot @ gauche |
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