dimanche 1 novembre 2020

Alexandra Grimal, souffleuse-chanteuse-compositrice… (mais où va-t-elle chercher toussa?)

 Alors que — confortablement calé dans mon fauteuil vintage en cuir véritable qui trône dans mon luxueux et spacieux bureau où mon majordome vient de me servir une copieuse dose de Caol Ila 18ans d'âge —  je m'apprête à mettre en ligne l'article ci-dessous consacré à Alexandra Grimal, j'entends dans l'immense parc qui jouxte ma somptueuse demeure mes petits-enfants et petits-neveux qui jouent en chantonnant "Allez Xandra! Allez Xandra! Allez!" 

Le parc de ma somptueuse demeure au lever du soleil
 

Ces gamins ont tout compris (il faut dire que je les ai abondamment briefés en leur faisant écouter la quasi totalité de la discographie de Miss Grimal) : Alexandra, c'est grave de la bonne came! 

Lisez un peu ce qui suit et on en recause à l'occaz. Vous remarquerez au passage que j'alterne habilement critique et éloge : un coup je démonte Keith Jarrett, un coup j'encense Alexandra Grimal.

Deux de mes petites-nièces, perchées dans un arbre et potassant la bio d'Alexandra Grimal
 

Voici quasiment une année, dans un article intitulé « Gender studies, 1° partie » et consacré aux musiciennes de jazz étrangères, j’affirmais qu’en France, parmi les jeunes jazzeuses, seules Géraldine Laurent et Alexandra Grimal étaient à la hauteur de leurs consoeurs européennes.

Il y a quelques mois, Alexandra a confirmé mon opinion en publiant un magnifique double CD sur lequel elle propose un solo de saxophone soprano, d’une part, et un solo vocal en compagnie du spécialiste de l’électronique Benjamin Lévy d’autre part.

Géraldiiiiiiine!


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alexandraaaaaaa!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un solo de soprano ? Mais qui ose ou a osé ça, en studio ou en live ? Steve Lacy, Evan Parker, Sam Rivers… et pas grand monde à part ces trois là, à ma connaissance.

 

Steve L.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Sam R.

 
Evan P.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et cette petite Alexandra, à peine quadra (elle est née en 1980) se hausse-t-elle au niveau des trois cadors précités ? Eh bien oui, mes ami(e)s ! (vous êtes toujours mes ami(e)s, hein, dites ?) Tout d’abord parce qu’Alexandra possède un des plus beaux sons de soprano qui se puisse entendre dans ce monde de brutes. On peut la placer sans problème aux côtés (chacun dans son style) de Steve Lacy, Evan Parker (once eugène), Emile Parisien, Stefano di Battista ou Dave Liebman. 

 

Stefano

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dave

 
Emile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elle a forgé cette sonorité au fil des ans et a clairement atteint, sur ce solo, une resplendissante maturité. Le son est fruité, fluide, charnu et en même temps d’une grande délicatesse qui n’exclut pas les montées en puissance. Hors de question d’écouter ce disque d’une oreille distraite en passant l’aspirateur, en lavant la vaisselle ou en lisant son journal. Bien qu’il se déguste sans effort, comme un grand vin qui vous inonde le gosier, ce solo nécessite en même temps une écoute attentive, à la hauteur de l’investissement d’Alexandra dans l’acte créateur. 

 

Un grand vin qui coule tout seul: le Morgon! (la boisson favorite de Zola parce que Morgonzolla — Hi! Hi! Hi!, qu'il est con ce Max Granvil)

En ce qui concerne le phrasé et l’improvisation, Alexandra nous enchante par sa sensibilité autant que par son intelligence musicale. Sa musique respire, laissant une belle place au silence, osant la mélodie, tournant autour du beau sans tomber dans le piège de la joliesse ou de la séduction. La « technique » — dont on peut se contrefoutre, mais je sais que certains sont fascinés par cet aspect des choses — est présente sans jamais rouler des mécaniques, et elle se fait oublier tant le jeu (dans le sens de celui des enfants) prend le dessus, avec son lot d’innocence, de simplicité, d’étonnement devant la beauté… 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Benjamin Lévy

Bref, ceux qui n’acquerront pas ce CD ou ne l’offriront pas à leurs proches (c’est bientôt les fêtes !) seront profondément dans l’erreur, seront impardonnables et je refuserai désormais de leur adresser la parole (non mais !).

Car, en plus de ce splendide solo, Alexandra se lance sur le second CD dans une aventure inédite (autant que je sache) et qui n’a rien d’une expérience de laboratoire, d’une « branlette intello » (pardon my vulgarity). Faire transformer sa voix (parlée ou chantée) par l’électronique — et je ne suis guère fan de cette technologie, habituellement — se révèle non seulement parfaitement cohérent, mais produit des effets sonores totalement convaincants. On est loin ici de la performance technique et on côtoie de nouveau la beauté à plus d’une reprise. 

 

Le CD en question

Ce duo voix-électronique nous entraîne sur des chemins inattendus aux paysages enchanteurs, de petites « îles langoureuses où la nature donne des arbres singuliers et des fruits savoureux », aurait dit Monsieur Baudelaire. Ce CD s’adresse — plus que l’autre qui reste (sans que cela soit restrictif) un disque de jazz — à tout auditeur, quels que soient ses goûts musicaux, prêt à plonger « au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ! » (encore et toujours Charles B.). 


Baudelaire peint par son pote Gustave Courbet

Le voyage que nous proposent Alexandra et son complice Benjamin Lévy est susceptible de ravir toute oreille ouverte et sensible, toute personne qui accepte de se faire entraîner par ces deux magiciens vers des rivages sonores inouïs.

 

Oreilles ouvertes et attentives

Allez écouter, et faites passer le message (c’est un ordre, évidemment !).

Plus tôt dans l’année, Alexandra a publié un autre disque, en duo avec le pianiste italien Giovanni Di Domenico, qu’elle connaît fort bien puisqu’ils se sont rencontrés en Hollande au début des années 2000, alors que tous deux étudiaient à La Haye. Elle a souvent joué avec ce pianiste et a enregistré avec lui à plusieurs reprises, en duo ou en quartet. J’avais aussi eu l’occasion de les voir/entendre à Paris dans une petite église voici quelques années. 

 


Giovanni Di Domenico

Bref ce duo a une longue histoire et son évolution au cours des ans est particulièrement intéressante à suivre. En effet l’empathie entre les deux musiciens est palpable et, si je devais faire une comparaison, je les rapprocherais du duo de feu Jean Lee et my main man Ran Blake (pas moins !), et pas seulement parce que sur ce dernier CD Alexandra chante en plus de jouer du soprano. 

 


A propos de son jeu, je n’ai rien à ajouter par rapport à ce que j’ai dit plus haut sur son solo dans  le double CD « The Monkey in the Abstract Garden ». Peut-être devrais-je quand même dire qu’en duo son soprano est par endroits plus intense qu’en solo, ce qui est parfaitement bienvenu d’autant plus que le jeu du pianiste suit ou suscite ces variations d’intensité. Di Domenico est — c’est évident à l’écoute de « Down the Hill » — un musicien de premier ordre, un pianiste à la sonorité et au phrasé totalement originaux, qui a donc sa propre voix, et c’est un régal d’écouter son comping, ses voicings, ses arpèges en compagnie du saxophone ou de la voix d’Alexandra. J’ai eu la curiosité d’aller visiter le site web de Di Domenico et j’ai été sidéré par son impressionnante discographie (entre autres sur son propre label). Je ne sais pas s’il est connu en Italie, son pays natal, en Hollande où il a étudié ou en Belgique où il réside, mais on aurait tout intérêt à mieux le connaître en France car objectivement personne ne joue comme lui ici.

Donc ce duo est à écouter absolument, au même titre que le double CD dont je parle plus haut.

Alexandra publiera dans quelques mois d’autres enregistrements que, personnellement pour ma part Hans-Kim Konzern, j’ai hâte d’entendre. Je ne sais pas si j’ai réussi à susciter votre curiosité envers cette musicienne exceptionnelle, l’une des plus intéressantes de la jazzosphère — et pas que — contemporaine. Mais, si vous voulez bien suivre les conseils de votre dévoué Max Granvil, arrêtez de vous intéresser à la plupart des jazzeux/jazzeuses dont on vous fait la promo ici où là et concentrez-vous sur Miss Grimal. Vous ne serez pas déçu(e) du voyage et vos oreilles vous en seront éternellement reconnaissantes, je vous le garantis.

Max Granvil 

Max Granvil dans son magnifique uniforme de blogueur/critique de jââââze
 

Alexandra Grimal/Benjamin Lévy : « The Monkey in the Abstract Garden » (OVNI/Orkhestra)

Alexandra Grimal/Giovanni Di Domenico : Down the Hill (pas de label)

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