vendredi 23 octobre 2020

Face aux cons… Blog 2 Garenne sort de ses gonds

 

Avant de commencer, un petit rappel pour les nouveaux lecteurs et pour les anciens qui ont la mémoire qui flanche. Blog de Garenne porte ce beau nom grâce à l'excellent Alphonse Allais qui écrivit :

Allez, fonce Alphonse Allais!

 

"Il est toujours bon d'avoir une particule. Etre de quelque chose ça vous pose quelqu'un, comme être de Garenne ça vous pose un lapin". Grave top coooool, niet?

Blog de Garenne ne s’est jamais strictement confiné dans son créneau jazz-jazz ni n’est resté sur ses rails musicaux. Nous vivons dans une société dont la musique et le jazz ne sont qu’un élément culturel parmi d’autres. Aussi, quand les problèmes de société envahissent l’espace public, comme c’est le cas aujourd’hui, Max Granvil s’autorise-t-il à troquer ses charentaises jazzy pour de gros sabot sociologiques, que par ailleurs chacun d’entre nous — oui, toi, lecteur/trice aimé(e), toi Helmut, toi Cunégonde… — est libre de chausser pour donner son point de vue sur le monde qui nous entoure. C’est parti !

Les sabots de sociologue de eMGé (pointure 45)
 

Face aux cons ? Aux cons de tous bords, bien sûr, et ils sont loin d’être tous du même côté. Ainsi, ces derniers temps, on a abondamment stigmatisé les intégristes musulmans, les terroristes qui sont passés à l’acte, et ceux des croyants qui les soutiennent.

Des cons, de toute évidence. De sales cons pour ce qui est des terroristes, un mélange de sales cons et de pauvres cons en ce qui concerne leurs sympathisants et zélateurs. 

Mais de l’autre côté, dans le camp des institutions — et singulièrement de l’Education Nationale que je connais bien pour y avoir été prof de français pendant près de 40 ans — la dose de connerie est loin d’être infime, aussi bien à la base que dans la hiérarchie. 

Les jeunes musulmans qui usent leurs culottes et leurs robes sur les bancs de nos collèges et lycées sont-ils confrontés à une idéologie républicaine et laïque unanime et sans faille, dont la logique puisse s’imposer à eux de façon naturelle et fluide ?

Loin de là ! J’ai enseigné en banlieue parisienne, à Gennevilliers, face à des classes où plus de la moitié des élèves étaient originaires du Maghreb ou d’Afrique noire, et donc en grande partie musulmans. La plupart des élèves musulmanes ôtaient leur voile à la grille du lycée et le remettaient dès leur sortie, et ce la plupart du temps — j’ai pu le vérifier — par choix personnel et non sous la pression de grands frères ou de la famille. La règle du lycée en matière vestimentaire était clairement énoncée, mais les élèves savaient parfaitement que la règle du lycée de Villeneuve-la-Garenne, à quelques kilomètres de là, était différente, plus tolérante. 

La position du Rectorat de Versailles — dont dépendent les deux établissements — par rapport à cela ? Comme d’habitude les hautes sphères n’ont qu’un mot d’ordre à l’adresse de leurs administrés : « Pas de vagues, et surtout pas de vagues qui remontent jusqu’au Rectorat ou qui apparaissent en première page des journaux ! ». 

J'ai dit:"Pas de vagues!", bordel!
 

Belle façon de gérer les problèmes qui éclosent sur le terrain, à ce qu’on voit.

Il m’est arrivé de garder après mon cours, pour les rassurer, deux élèves convoquées à l’heure suivante dans le bureau du proviseur-adjoint pour avoir porté dans l’enceinte du lycée une tenue « islamique » jugée inadéquate. Les deux adolescentes étaient très stressées, au bord des larmes, et ne comprenaient pas vraiment ce qu’on leur reprochait.

Quand j’allai informer ledit proviseur-adjoint de l’état d’esprit de ces deux élèves, il ne trouva pas autre chose à me dire que : « Vous êtes resté seul dans une salle avec ces deux élèves ? Attention, elles vont essayer de vous endoctriner ! ». 

Le lycée Galilée, à Gennevilliers: très beau, très cher, très peu fonctionnel…
 

M’endoctriner ? Deux gamines un peu paumées entre leurs valeurs familiales et celles de leur lycée  seraient capables d’endoctriner un adulte enseignant ayant des dizaines d’années d’expérience en tant que prof ? On croit rêver ! Et c’est ce brave proviseur-adjoint largement à côté de la plaque et craintif face au comportement de certains élèves musulmans qui allait rappeler les valeurs de l’école à deux jeunes filles qu’il ne connaissait pratiquement pas. Deux ados que, pour ma part, je côtoyais plusieurs heures par semaine depuis des mois ! 

Est-ce qu'il a l'air endoctrinable, le gars Max Granvil? Franchement!
 

Ces élèves musulmans, dans quelle mesure l’école prend-elle en compte leur singularité religieuse afin de les amener à mieux comprendre la notion de laïcité, laquelle est loin d’être claire ? Ce travail d’explication, certains de mes collègues et moi-même le faisions au quotidien. Mais pas la majorité de ces collègues, loin de là. Et en quoi la hiérarchie nous incite-t-elle à faire ce travail ? Quelles formations permettant de mieux s’attaquer aux problèmes interculturels l’institution propose-t-elle à ses profs officiant sur le terrain? Quasiment aucune, pour la simple raison que les inspecteurs et autres pontes des hautes sphères n’y connaissent rien, coincés qu’ils sont dans la spécificité de leur matière (maths, histoire-géo, anglais, philo…) et incapables qu’ils sont de venir voir ce qui se passe à la base dans le domaine plus général de l’éducation.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

N’est-il pas étrange, d’ailleurs, que dans le sein d’une institution qui se nomme toujours EDUCATION Nationale, la plupart des profs qui exercent face aux élèves  se perçoivent et se revendiquent non pas comme des « éducateurs » mais simplement comme des « enseignants » ? En gros, pour faire un parallèle, ils sont devenus garçons de café pour servir des bières, mais pas pour essuyer les tables !

Garçonne de café préparant un café-philo

 

Apprendre aux jeunes les lois de la chimie ou enseigner la méthode de la dissertation d’une part, et les « éduquer » à la citoyenneté d’autre part sont deux activités différentes mais qui devraient être pratiquées conjointement. C’est rarement le cas.

En effet la hiérarchie juge et note un professeur sur ses seules qualités d’enseignant d’une matière ou d’une autre, sur son bagage intellectuel et culturel, mais plus rarement — voire jamais — sur ses talents d’ « éducateur ».

 

Le village afrrrrricain (prrrrrésentement, là dis-donc!)

L'immense hall du lycée Galilée (mais où est le baobab, l'arbre à palabre?)


En Afrique, on dit qu’il faut un village pour élever un enfant. Un lycée fonctionne-t-il comme un village où tous les adultes auraient le souci d’élever les jeunes ? Loin de là ! Les profs enseignent, l’intendant gère, les agents de service font le ménage et servent à la cantine, le proviseur dirige tout ça de près ou de loin… chacun dans sa bulle.

Et c’est à cette image de l’adulte que sont confrontés les jeunes au quotidien.

Quand l’élève n’a comme autre image de l’adulte que des parents éventuellement analphabètes ou parlant une langue étrangère et pratiquant une religion a priori peu compatible avec ce que qu’on lui enseigne à l’école, comment s’étonner que l’ado soit un peu paumé(e), qu’il/elle cherche des réponses claires à ses questionnements et qu’il/elle devienne agressif/ve quand on ne lui en donne pas ?

Ados agressifs (ayez pas peur : je suis là)
 

Au-delà de l’école, quelles valeurs morales la République Française néo-libérale propose-t-elle à la masse des jeunes ? Derrière la jolie façade « Liberté, égalité, fraternité » qu’y a-t-il là d’admirable à admirer pour un jeune en quête de valeurs ?

Le bourbier politique (avec ces mises en examen qui touchent jusqu’au sommet de l’état), le bourbier médiatique (télés en tête, vendues qu’elles sont à la pub, aux faits divers et aux émissions bas de gamme et populistes), le bourbier commercial qui ne voit que des consommateurs potentiels et non des citoyens ? 

Le couple Balkany, célèbres caïmans du marigot politique
 
Un consommateur en action

Dans un pays théoriquement démocratique où le taux d’abstention aux élections ne cesse d’augmenter, à quelle image positive des valeurs démocratiques le jeune qui regarde autour de lui peut-il se raccrocher ?

N’a-t-il pas plus ou moins conscience du fait que l’école et l’université fonctionnent comme des « parkings à jeunes » ? Tant que ces derniers sont assis dans leurs enceintes ils ne traînent pas dans les rues et n’envahissent pas les locaux de Pôle Emploi !

 

Alors si sa religion de naissance amène un jeune à côtoyer des croyants et pratiquants apparemment ou réellement sincères dans leur foi, des imams apparemment (ou réellement) porteurs de valeurs spirituelles fortes… comment s’étonner que ce jeune soit davantage attiré par cette sphère qui lui propose un supplément d’âme que par une école et une République aux bases morales et spirituelles floues et peu attractives ? 

La grande mosquée de Paris
 

La France a depuis des lustres livré sa jeunesse pieds et poings liés aux marchands (de gadgets, de big macs, de smartphones…), aux réseaux dits « sociaux », à la télé, à la pub…

Comment s’étonner qu’un élève garde son smartphone à portée de main en classe, s’intéressant davantage aux sms qu’il envoie ou reçoit qu’au contenu du cours ? 

 

Le smartphone est valorisé sur les médias, dans la pub, aux vitrines des magasins, sur le net… Où ce que l’école transmet est-il valorisé sinon entre ses murs, dans ses classes ? 

Quelques hommes politiques ont offert ces dernières années aux collégiens de leur département un ordinateur portable, y compris dans des zones rurales où il n'y a pratiquement pas de réseau! Quel usage ces jeunes collégiens seront-ils tentés de faire de ce beau cadeau empoisonné? Iront-ils surfer sur le net ou se mettront-ils en quête de savoir(s)? Je vous le laisse deviner. Quant aux marchands d'informatique, comment remercieront-ils nos généreux politiciens de la manne qu'ils leur offrent sans contrepartie? Hein? A votre avis…? 



 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

De cette évolution de la société vers le libéralisme et le mercantilisme sans âme, nous citoyens sommes tout plus ou moins complices puisque nous avons laissé faire. Nous nous sommes laissés prendre dans les filets de la surconsommation amorale. (Re)lisons La Boëtie dans son fabuleux et prémonitoire Discours de la servitude volontaire : « Ce sont donc les peuples eux-mêmes qui se laissent, ou plutôt qui se font malmener, puisqu’ils en seraient quittes en cessant de servir. C’est le peuple qui s’asservit et qui se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d’être soumis ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug ; qui consent à son mal, ou plutôt qui le recherche… ». 

La Boétie était si beau que Montaigne craqua…

Ainsi, quelle place la télévision et la presse nationales — qui ne peuvent survivre que tant que leurs téléspectateurs et lecteurs les soutiennent — accordent-elles aux minorités issues de l’immigration, que ces dernières viennent des anciennes colonies ou des DOM TOM ? Quand voit-on des « basanés » ou des musulmans dans les téléfilms, dans les émissions en tous genres, invités au journal télévisé, dans les colonnes de nos grands hebdomadaires… ? 

Le JT? A jeter!
 

Ne se voyant quasiment jamais représentés dans les « vitrines » de la Nation, qui ignorent pratiquement leur existence, comment s’étonner que des jeunes issus de ces minorités « ethniques », culturelles et religieuses se réfugient vers des valeurs, des pratiques et un imaginaire extérieur à la France « gauloise » ? 

 

Car quels modèles qui leur ressemblent physiquement leur proposent les médias audio-visuels, à part des sportifs ou des rappeurs (en gros) : les Zinédine Zidane, Teddy Rinner, Laura Fleissel et autres Tony Parker ou La Fouine ? Quand voient-ils sur nos écrans ou entendent-ils sur nos ondes des médecins, professeurs d’université, avocats, magistrats, chercheurs scientifiques, acteurs de théâtre ou de cinéma (à part un Omar Sy, cantonné dans des rôles de « nègre » alors qu’en Angleterre, par exemple, on peut voir un acteur noir jouer le rôle d’Hamlet), des violonistes classiques ou des musiciens de jazz d’origine africaine ou arabe ? 

Zizou

 

 

 

 

 

 

Laura

 

 

 

 

 

 

 

La Fouine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un Hamlet black? Pas de ça chez nous!
 

Quand voient-ils des modèles auxquels s’identifier et qui les fassent rêver ? Et dieu sait si les adolescents ont besoin de rêver leur avenir !

Les jeunes Noirs ou Arabes des banlieues ont bien conscience qu’un « plafond de verre » les empêchera de monter en grade dans la France républicaine d’aujourd’hui.

Rien d’étonnant à ce que, s’ils obtiennent leur bac — car bon nombre d’entre eux sont orientés dès la 3° vers des lycées professionnels ou vers l’apprentissage —, ils s’inscrivent en masse dans des filières d’enseignement court, en BTS ou en IUT, et non dans l’enseignement long que proposent les classes prépa, les universités, les écoles d’ingénieurs…

 

IUT trois, mais bac + 2 ;-)

Pourtant des intellectuels, médecins ou scientifiques arabes ou noirs existent en France. Nos universités comptent dans leurs rangs un nombre conséquent de professeurs appartenant à la 2° ou 3° génération d’immigrés, et les médecins de couleur ou arabes pullulent dans les services d’urgences des hôpitaux où les Blancs rechignent à travailler, par exemple. Mais leur visibilité médiatique est infime.

Alain Mabanckou: un intellectuel noir à la télé? Oui, bien sûr, s'il a un look flashy!

 

Bref, il n’est pas étonnant qu’un nombre important de jeunes des banlieues aient du mal à adhérer aux soi-disant « valeurs de la République », lesquelles se sont progressivement dissoutes dans le marigot du mercantilisme politique et commercial néo-libéral.

Dans ce contexte, le fait qu’une petite minorité de jeunes musulmans se radicalise et qu’une infime fraction d’entre ces derniers sombre dans le terrorisme n’a rien de bien surprenant, quel que soit le rôle que peuvent par ailleurs jouer dans ce processus les imams intégristes ou quelques associations (qu’il faut évidemment neutraliser) . 

Ceux-ci sont cool…

… ceux-là moins!


Voici plus d’un siècle, la Nation française endoctrinait son peuple en lui  promettant de récupérer l’Alsace et la Lorraine. Des milliers de poilus sont ainsi partis la fleur au fusil « casser du Boche ». Aujourd’hui — et c’est heureux — plus aucune « valeur républicaine » de ce type n’a cours. Mais quelles nouvelles valeurs la France de nos jours propose-t-elle à son peuple et à ses jeunes ? Et comment s’étonner que dans ce vide s’engouffrent des intégristes de tout poil, depuis les néo-nazis (minoritaires chez nous mais moins en Allemagne ou au Royaume Uni) jusqu’aux islamistes radicaux ?

Les poilus? Des "héros" endoctrinés!

La connerie, on le voit, est loin d’être cantonnée dans les rangs des seuls extrémistes!

Je me suis bien éloigné du jazz, pensez-vous. Pas tant que ça : vous le verrez dans un prochain article consacré aux institutions qui ont en charge la musique dans notre pays.

@ +, donc.

Max Granvil


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