vendredi 19 juillet 2019

Youn Sun Nah, Parc Floral de Vincennes, FJP, 19/07/2019


 
Youn Sun Nah, c’est ma tendresse ! Alors ne vous étonnez pas si je l’encense (non je n’ai pas apporté mes bâtonnets d’encens au concert, faut pas exagérer quand m’aime !). Par contre je suis venu dès l’après-midi à la balance-son, histoire de la voir/entendre un peu avant que ne commence la cérémonie — un concert de Youn est toujours une sorte de cérémonie, à la fois païenne et spirituelle, recueillie et conviviale, bouleversante et renversante. Cette femme exsude la beauté asiatique et occidentale. Elle est un confluent, une synthèse magnifiquement réussie et affinée au fil des ans et je n’arrive pas à en dire le moindre mal car j’ai beau la connaître bien depuis des années elle réussit toujours à me surprendre, comme elle enchante tous les publics devant lesquels je l’ai vue chanter. Je discute aussi un peu avec Axel Matignon, son manager/psychologue/confident, qui est un vieux pote et qui assure la logistique avec efficacité et discrétion depuis des années. Bref, c’est la famille !
Avant les embrassades avec Miss Youn (on ne s’est pas vus depuis quelques années car elle a fait une pause dans sa carrière et moi itou), qui vois-je sur scène derrière sa batterie et pas loin de sa contrebasse ? My main man Rémi Vignolo — qui joue rarement des deux et qui est le seul en France à faire ça, à ma connaissance — ainsi qu’un guitariste-pianiste dont j’ignorais jusqu’à l’existence : Tomek Miernowski, né en Pologne et vivant à New York depuis son enfance. En fait le groupe — un trio fort atypique — n’est pas celui annoncé dans le programme et c’est aussi bien comme ça parce que Rémi Vignolo à la batterie ET à la basse et ce Tomek qui se chauffait les doigts pendant la balance en jouant du Bach à la guitare acoustique PLUS Youn, ça promet dès le soundcheck d’être une foutue tuerie !
On cause et on grignote dans les loges avant le concert. Tout le monde est très relax et à la fois très concentré. Ils sont un peu fatigués car ils reviennent d’un festival en Tchéquie et ils ont voyagé pendant toute la journée, mais ils sont en pleine forme et on sent que ça va pulser en force et en douceur. 
Sur un vamp de basse en pizzicato et des arpèges de piano la voix de Youn s’élève, lente, magnifique dès les premières notes avec un phrasé qui laisse une grande place  au silence et la magie s’installe dès les premières notes de cette mélodie qui dure à peine quelques minutes. Puis Rémi s’installe à la batterie, aux balais (j’allais écrire « ballets » car il fait rapidement danser ses baguettes puis ses mailloches sur les toms et les cymbales tandis que la voix s’enfle sur un nouveau morceau très court également. Suit un thème en scat souple et vivace que la batterie accompagne d‘une pulsation mélodique d’une tonicité polyrythmique subtile tandis que la guitare se lance dans un solo acoustique splendide, proche de la musique baroque. Ces deux instrumentistes sont clairement de grands musiciens, de grands mélodistes et Youn les écoute en silence avant de reprendre son scat mêlé d’envolées dans les graves puis les aigus, jamais criards. Cette chanteuse sait décidément organiser la musique et jouer d’une tessiture d’une splendide étendue sans forcer, sans jamais recourir à l’effet gratuit. Le public fond et applaudit à tout rompre, l’ovationne, conquis au bout de quelques minutes de ce qu’il faut bien appeler une cérémonie (je sais, je me répète, mais pas eux). 
D’ailleurs Rémi empoigne de nouveau sa contrebasse pour un solo absolu grave et profond que ses deux comparses observent avec attention. Cette écoute palpable sur scène ce — osons le terme — recueillement sera l’un des fils conducteurs d’une prestation de toute beauté, dont on n’en finirait pas de détailler les méandres, les sinuosités, les nuances. Youn est maintenant seule avec la basse de Rémi — Tomek a momentanément quitté la scène — et combien d’autres chanteuses osent le duo voix/basse ? Sheila Jordan, Karin Krog, Jen Shyu…
Une ballade somptueuse suit maintenant avec le clavier et les percussions discrètes de Rémy. La voix tantôt ample tantôt proche du murmure module les paroles en anglais de la chanson qui s’installe dans la durée, telle un fleuve majestueux dans son lit et l’on écoute médusé cette coulée vocale tandis que la batterie fait monter la tension sur les arpèges délicats de la guitare égrenant de subtiles harmonies.  Je me suis un moment éloigné de la scène pour discuter avec Axel le manager, tout en écoutant d’une oreille la cérémonie se dérouler et les morceaux d’une grande variété se succéder : thèmes de Youn, de Leonard Cohen, de Marvin Gaye, de Michel Legrand… Mais d’un coup je suis « convoqué » dans la salle : Youn entonne une chanson rock au maximum de sa puissance dans des growls telluriques pendant que ses deux musiciens « bucheronnent » une rythmique binaire énorme et intelligente. Ca déménage grave, c’est une orgie musicale dont la dramaturgie fait léviter l’auditoire et Youn est la grande prêtresse de cette tuerie mélodico-rythmique, la « sorcière » de ce sabbat sonique. Puis c’est le rappel tendrement mélodique en duo avec la guitare acoustique. Cette chanteuse est une magicienne, une Maria Callas, une Sarah Vaughan, une Leontyne Price, une Dianne Reeves… du jazz ouvert — et pas que. Si elle joue près de chez vous courez l’entendre. Ses concerts sont une splendide thérapie humaine autant que musicale et je vais de ce pas faire usage de mes relations en haut lieu (car j’ai le bras long, savez-vous, derrière mes airs passe-partout) pour faire en sorte que ses concerts soient remboursés par la sécurité sociale et mettent la moitié des psys de l’Hexagone au chômage !
 
Max Granvil

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