dimanche 29 janvier 2012

Express de jazz de bourges de… (il est toujours bon d'avoir trois particules!)


Votre dévoué EmGé l’avoue : il ne lit plus la presse, ne possède pas de télé depuis près de 40 ans et sa radio ayant rendu l’âme au cours d’un déménagement il y a un lustre, il ne l’a pas remplacée depuis. Quoi ? Le brillant EmGé qui nous ravit de ses saillies, qui nous parle du jazz en Corée (tûjûrs), des charmes du swing italien, et vitupère le microcosme parisien ! Ce même Max Granvil qu’on déteste ou qu’on adore vit en bête brute loin des autoroutes de l’information? Quand il ouvre son laptop, il ne se rue point sur les liens people que propose à gogo le remarquable portail Orange, vitrine des serveurs à la française ? Il ne s’intéresse pas à l’angle d’inclinaison d'un bateau-hôtel échoué en Méditerranée, ni au dernier lifting de XX ou XY ? Ben non : rien à battre, il s’en tape et même peu lui en chaut — si vous voulez tout savoir. 


Et ce non sans raisons : depuis l’élection de N. S. (Non Sens, Nain Speedé… à vous de choisir) EmGé a vu la soi-disant « grande presse » sombrer dans le sordide, s’intéressant davantage à Cécilia qu’au Burkina, puis à la grossesse de Bruni qu’au quotidien des sans-abris. EmGé est un grand sensible (derrière ses airs de brute épaisse que personne ne souhaiterait rencontrer seul à seul et non armé, par une nuit froide et sans lune, dans le couloir désert d’un immeuble désaffecté du Bronx. Que même que si la nuit elle est chaude ou tiède, ça fout les jetons pareil, mon frère. Et ma sœur encore pire, ch’te jure sur le Coran). Cette exquise sensibilité — qui fait de lui un homme du monde dont la compagnie affable et le discours raffiné sont recherchés dans tous les 10 nés en ville — a poussé EmGé à prendre ses distances avec ces organes de presse dont la fonction ultime est, on le sait, d’emballer le poisson à plus ou moins longue échéance. Et il s’en porte comme un charme, glanant ici ou là au hasard et sans l’avoir cherché telle ou telle info datant de quelques mois… et constatant non seulement qu’il s’en est fort bien passé jusqu’alors, mais en plus qu’il n’a rien raté. 
Car il se passe tant de choses en ce bas monde (tenez, à l’instant, une voiture vient de passer dans ma rue : étonoff, niet ? Qui me dit si une autre ne fera pas de même — et, qui sait, en sens inverse — d’ici peu ? Face à ce suspense intolérable, comprenez que la crise de l’€ me laisse indifférent) et les média en rendent compte de façon si parcellaire et répétitive… Bref : entre marronniers (« Le pouvoir des Francs-Maçons » ; « Pour qui votent les cathos ? » … ; vraies-fausses révélations (« Fillon : rumeurs de cancer du fion» ; « Bi, Hollande ? Enquête à Bioland » … ; et séquences nostalgie : « Clo-Clo : X ans déjà » ; « Amy Winehouse : X mois déjà »… EmGé a trouvé bon d’arrêter les frais et de boycotter le papier imprimé. 

Mais… Mais ?…


Mais on peut toujours tomber sur un canard qui traîne quèqu’ part loin de sa mare. Et c’est pile poil ce qui est arrivé à votre EmGé, découvrant fin janvier un Express-Hors-Série-avec-Classica daté d’octobre-novembre et consacré à … accrochez vos ceintures : Un siècle de jazz. Pas moins. 
Voilà qui a dû aider moult ménagère ou père de famille à remplir son panier de Noël pour couvrir son Doudou, sa Mimine, son/sa fistounet/te ou un(e) lointain(e) cousin(e) — allez je vous balance un alexandrin (je sais que vous en raffolez) — de cadeaux enjazzés swinguants et syncopés.
      —« Mais z’y connaissent rien en jazz à l’Express, patron », me suggère Paulo (qu’est loin d’êt’ con, tu sais, Marco) à ma droite en m’allumant un puro dominicain.
   T’inquiète Paulo, y z’ont sous-traité. Que même que j’te parie qu’c’est avec ces caves de Jazz News, ex-So Jazz, ex-Jazzman (tendance Al Di) qu’y z’ont dealé. Tête de ma reum.
Marco, à ma droite feuillette la revue :
   Z’avez raison, chef, z’avez l’nez chef (comment fait-on pour dev’nir chef, chef ?) : y z’y sont quasi tous. Al Di, Vi Bi, Al Tee, Jo Dee-Haie, Ar Em… y’a même un commandeur Désert Zèle Âtre, vous savez : Pie "Hank" Till .
      —   Bon, les gars, s’agit maintenant d’éplucher le contenu de c’foutu canard, histoire de voir c’qu’il a dans l’ventre, sacré bon soir.
   A vos ordres, boss : c’est, comme qui dirait, comme si c’était fait.
   Et, secondé par mes fidèles sbires qui se feraient perforer le kayak pour me permettre de terminer en paix mon excellent cigare, on commence par la fin, histoire de dérouter les espions japonais. 
     Ah, ah : la tournée des clubs! Un p’tit tour en Europe (Paris, Amsterdam, Barcelone, Copenhague, Londres, Vienne… et NYC). Bon, si on veut, mais le tourisme bourgeois qu’on nous propose là ne me satisfait guère et me semble bien plat. A Paris (du moins en périphérie) y’a Le Triton (aux Lilas) et La Dynamo (à Pantin) qui sont souvent autrement passionnants que la sempiternelle Rue des Lombards avec ses gentils concerts de sorties de disques, ses répétitifs « hommages à X ou Y » et ses Américains de passage jetlagués à donf ou en fin de tournée.  Et je ne parle même pas de lieux aléatoires voire sporadiques (mais hautement populaires) comme l'Olympic Café, Le studio de l'Ermitage, la Java… A Londres, on nous signale le Pizza Express (BCBG, et en plein centre) alors que le Vortex, plus excentré, est largement plus passionnant et que son patron Oliver Weindling est également l'initiateur de l'excellent Babel Label, qui rassemble la fine fleur du jeune jazz d'outre-Manche ("Carry on Ollie, my man man!"). A Copenhague, la Copenhagen Jazz House est incomparablement plus stimulante que la JazzHus Montmartre récemment réouverte, et qui donne dans la nostalgie de sa haute époque. Et pas un seul club à Berlin, où la scène jazz est foisonnante ? Ni à Rome ? Ni à Genève ? La séance d’élagage a dû être épique en conf’ de rédac’ ! Epique ou… express ! 
      Quant à NYC, le Village Vanguard est certes « un mythe », mais la vraie vie  du jazz new-yorkais c’est au moins autant au Tonic, au Birdland, au Jazz Standard, au Cornelia Street Café, etc. (et souvent plus à Brooklyn qu’à Manhattan) qu’elle se passe. 
     Une ville/un club (et trois pour Paris dans la même rue): un peu réducteur, non? 
— Juste normal pour la presse-magazine, patron. Z'avez perdu l'contact me sussurent mes sbires en mâchouillant leurs mégots de havanes (eux préfèrent les cubains, moi les dominicains). Et les bougres ont raison!
   Bon patron, on continue : vous vous chauffez la bile pour des prunes, là, sauf vot’ respect.
   T’as raison, Marco : tourne donc voir la page. Les festivals français ? On passe : y’en a tellement que ça ne peut qu’être subjectif. 
      Les labels maintenant, en une page, hormis ECM  présenté comme LE modèle et qui a droit à trois pages un peu plus loin (rappelez-vous qu'on feuillette à l'envers, comme le Coran mon frère) — dont une photo du producteur Manfred Eicher qui, sur papier glacé comme dans la vie, tire toujours la tronche d’un gars qui vient d’enterrer sa mère. 


      Ben là, lecteurs aimés (toi, Jonathan, toi Alex, toi Vincent, toi Pascal, toi Arnaud…), les bras m’en tombent. Que même que si Paulo et Marco ne me les refixaient fissa aux épaules, je serais contraint d’écrire ce papier avec le nez ou le menton sur mon MacBook préféré. Les bras m’en tombent car ECM, c’est vraiment LE cliché du jazz classieux depuis des décennies. Le label auquel quasi tout musicien rêve d’accéder (Tim Berne, tout récemment, alors qu’il avait créé son propre label, Screwgun, — tu comprends, my friend, la distribution internationale, ça n’se r’fuse point.), mais le label qui ne découvre quasiment plus personne, qui ne met plus le pied à l’étrier à aucun jeune musicien. Bref le label de la sécurité bourgeoise et du confort Roch & Bobo des studios classieux d’Oslo à la légendaire réverb (laquelle a pour effet que, sur scène, un groupe ECM sonne si différemment du disque qu’on le reconnaît à peine). 
      Alors chapeau à ECM pour sa légendaire saga, soit. Mais choisir ce label comme emblème, en 2011, l’année des 40 ans d’ENJA, son voisin munichois, qui n’est de son côté pas cité UNE fois !? En 2012 ce sont les 20 ans d’ACT, autre label de Munich, qu'on fête. L'actualité ne manquait donc pas. Or Vi Bi réduit ce troisième label allemand au fait qu’il est « tourné vers la scène scandinave » — Ja ? Wirklich ? Bist du davon sicher, Mensch? On compte chez ACT une dizaine de disques de Nguyên Lê (qui vient de recevoir le prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz), les derniers skeuds de Céline Bonacina, Youn Sun Nah ou Pierrick Pedron, quelques David Binney, Yaron Herman, Vijay Iyer, Joachim Kühn, Heinz Sauer plus… une bonne moitié de la jeune scène allemande (Der Rote Bereich, [em], Mathias Schriefl, Knut Rössler, Michael Schiefel, Michael Wollny…) sans parler des deux Jazzpaña de Vince Mendoza. Päs trøp skåndinav tout ça, nej?



Quant à ENJA, ce serait une insulte aux lecteurs de Blog de Garenne que de leur rappeler les noms des musiciens auxquels son producteur, Matthias Winckelmann, a donné une visibilité. 
Matthias Winckelmann arborant la pochette d'un LP de Slickaphonicks (Ray Anderson, Mark Helias…)
Signalons tout de même que parmi eux figure une bottelée de jazzmen Français (alors que — je le disais dans ces colonnes il y a peu — aucun musicien allemand n’est signé sur un label français) : Renaud Garcia-Fons, Michel Godard, Vincent Courtois, Bernard Struber… et la magnifique altiste polonaise Angelika Niescier, dont le dernier CD est pour moi une des révélations de 2011.

  
La suite de cet épluchage très bientôt. Eplucher, ça épuise, surtout si on a perdu la main.








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