JD Allen (ts), Ian Kenselaar (b), Nic Cacioppo (dm).
JD
Allen et moi avons passé une heure et demie en ce vendredi après-midi
caniculaire à parler musique dans le hall de son hôtel, à quelques encablures
du Duc des Lombards où il jouait la veille et où il devait jouer de nouveau le
soir même. Je lui faisais passer un blindfold test qui lui plut beaucoup et
dont les lecteurs de B2G auront l’exclusivité d’ici quelques semaines. La
conversation devint rapidement conviviale, émaillée de rires et de sourires, de
hochements de tête approbateurs et de moues dubitatives. J’étais donc chaud-bouillant pour assister au concert
d’un musicien que je ne connaissais jusque là que par le disque et chez qui je
venais de découvrir un homme intelligent, cultivé, ouvert et grand amateur de
musiques — ce qui n’est pas nécessairement le cas de tous ses confères.
Ca
commence très fort avec un long morceau up tempo aux contours harmoniques sinueux.
Le ténor slalome entre les accords de cette grille touffue, soutenu par un
batteur eu jeu tonique, polyrythmique et fourni.
Le
morceau suivant est une sorte de ballade mais le rythme s’accélère assez vite
et elle débouche, quasiment sans transition, sur un nouveau morceau rapide sur
lequel le batteur prend un long solo assez époustouflant. Ce jeune
percussionniste a, de toute évidence, trouvé son style dans le sillage des grands
et sa batterie « sonne ». Sa frappe sèche tire des fûts et des
cymbales des sonorités mélodiques tout à fait intéressantes et le ténor
s’appuie sur lui pour modeler son phrasé comme le faisait un de ses principaux
inspirateurs, le grand Sonny Rollins, dont Allen prolonge la démarche, ne
serait-ce que dans son choix de jouer beaucoup en trio. Cette formation que
Rollins a quasiment initiée et qu’il a fréquemment utilisée au cours de sa
carrière est en fait assez casse-gueule du fait de l’absence d’instrument
harmonique tel que le piano ou la guitare. Mais en contrepartie cette configuration
offre au soliste principal une liberté autrement plus grande que quand il est
« cadré » par la grille d’accords que lui « impose » le
pianiste ou le guitariste. Jouer tantôt « in » et tantôt
« out » devient alors possible et JD Allen ne se gêne pas pour
repousser les limites du possible avec un phrasé souvent abrupt et une sonorité
volontairement « sale », aux antipodes des timbres souvent lisses et
proprets que produisent une bonne partie des souffleurs d’anches de sa
génération, voire plus jeunes.
Allen
vient de la rue et n’a jamais fréquenté ces écoles de jazz dont tant de jeunes
musiciens rêvent et qu’ils considèrent
comme des Mecque du jazz. Hors des sentiers battus, le ténor de Detroit a fait
son chemin en écoutant ses modèles et en jouant avec des aînés Et le stop
chorus qu’il prend en intro du morceau suivant est un régal de démarquage
rollinsien tout en possédant une pâte
sonore propre. Ainsi il entonne un standard dont le nom m’échappe et qui est la
première véritable ballade de ce premier set (Il s’agit de
« Stardust », m’informera le ténor à la pause). Le trio en déroule la
mélodie avec une gourmandise harmonique tout à fait appréciable et il donne au
bassiste l’occasion de prendre un solo paisible et inspiré, essentiellement
dans les graves de l’instrument, ce qui n’est pas si fréquent chez les jeunes
adeptes de la « grand-mère » qui ont tendance à privilégier la
vélocité dans les aigus. Une bien belle ballade, donc par un trio inspiré et
fort convaincant sur ce tempo lent après avoir exploré les pistes rapides. Et
c’est par un second stop chorus de toute beauté que JD Allen conclura cette
pause méditative dans un set qui aura essentiellement privilégié les tempos
véloces. Et ce que l’on remarque surtout sur ces morceaux enlevés, c’est la
densité de la pâte sonore du trio qui possède réellement un son de groupe
personnel lié à la personnalité des trois protagonistes et non pas seulement à
celle du leader. Ces trois-là doivent souvent jouer ensemble pour être parvenus
à une telle cohésion et c’est un régal d’entendre une telle entente humaine et
musicale quasiment palpable et qui ravit le public d’un Duc des Lombards au
trois quart plein. Loin des hommages compassés au hard bop historique, loin des
« projets » calibrés et des « créations » fortement
subventionnées, un trio de quadras nous aura promenés avec une maîtrise
remarquable et une foi véritable dans la musique qu’ils portent en eux, du
classicisme hérité des années 50 au lisières d’un free intelligemment intégré.
Ce n’est pas tous les soirs que l’on assiste ainsi à une grande heure de
musique bien vivante et débordante de vitalité. Et quand, en rappel, le trio
nous sert « When You Wish Upon a Star » (vous savez la chanson du
« Pinocchio de Walt Disney) terminé par un stop chorus qui cite le
« Don’t Stop the Carnival » de Mossieur Rollins, on fond
littéralement de plaisir et de gratitude.
Si
JD Allen et son trio repassent à Paris ou aux environs, vous pouvez être sûrs
de me trouver dans la salle. Mais vous, où serez-vous ?
Max
Granvil
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