Quand
j’arrive au Sunside à 10h, au milieu du 1° set, Baptiste Trotignon est en train
de chorusser sur une ballade dont j’ignore le titre et c’est d’emblée
magnifique : le son du piano, le phrasé, les voicings… puis Clovis Nicolas
prend un solo de basse impérial, tout dans les graves de l’instrument, tout
ancré, tout rooted — comme disent les
Rosbifs/Hamburgers. Suit une autre ballade, d’une majestueuse lenteur. Le trio
l’expose en laissant beaucoup d’espace pour que la mélodie respire autant
qu’elle peut et on est (nait) dans la beauté pure. Les micro-accélérations du
piano sur une rythmique calme et placide sont du meilleur effet. Trotignon nous fait son Ahmad Jamal et ça
passe sans accroc, tout en douceur, comme une lettre à la poste (pas La Poste
d’aujourd’hui, Zeus nous en préserve ! D’ailleurs l’être hait le néant,
tout le monde sait ça).
Là
encore Nicolas se fend d’un chorus dans le haut de la basse que Trotignon
alimente d’accords magnifiques tandis de Tony Rabeson fait crépiter ses
cymbales et ponctue le tout de petites bombes subtiles sur ses toms.
Entre-temps le pianiste s’est lancé dans un solo up tempo qui déboule avec une
vélocité jamais démonstrative.
Le
deuxième set débute avec un groove tellurique et sensible qui nous scotche à
notre siège déjà humide de sueur (oui, vous savez, la fameuse Kahn y cul…) et
Baptiste est toujours aussi subtil et plein de nuances — ce type a décidé de
nous tuer, c’est clair comme de l’eau de Roach —Max, dont Rabeson est un
lointain (enfin pas si loin, tiens) neveu. Un petit échange de 4/4 piano-drums
vient maître les choses aux poings puis Clovis fait bourdonner sa grand-mère
tandis que Baptiste lui envoie derrière des voicings affutés et que Tony
crépite des saints balles comme un doux taré qu’il est.
Puis
le solo de piano est tellement dedans qu’on s’y immerge avec amour, délices et
ogres. Ces trois mecs sont tout simplement for-mi-dables et ce ne sont pas
Franck Amsallem, Christian Pégand ou Vincent Hamamdjian (le bassiste électrique
que j’ai rencontré à l’entracte) qui me contrediront sinon je leur défonce la
tronche : vous me connaissez, je suis un Viking afrrrricain —
prrrrésentement là dis donc — et si je t’aime je te fais plein de hugs ‘n’
kisses mais si tu me les brises je te découpe en rondelles façon carpaccio. Ma,
cazzo, ci mancherebbe meno !).
Le
morceau suivant est un hommage à Joao Gilberto récemment DCD et c’est encore
une ballade d’une douceur tonique (Rabeson) où les voicings lumineux de
Baptiste sont tout simplement éblouissants. Clovis chorusse tout en retenue et
en puissance intériorisée puis Baptiste reprend, tout près de la mélodie qui
est si limpide qu’elle se suffit à elle m’aime. Et si mon voisin se met à
chialer sur mon MacBook je risque de me fâcher — mais comment se mettre en
colère quand vos oreilles absorbent goulument tant de beauté. Hein,
comment ? Hein ? Dites moi.
Suit
un thème de Charliiiiiie Par Cœur en tempo moyen que Clovis entame à la basse
avant de se lancer dans une walking souple et grooveuse que Tony accompagne
d’une cymbale ride raffinée et polyrythmique (et non pas trop polie pour être
au net, j’te f’rai dire) et sur laquelle Baptiste solotte en digne petit-fils
de Bud Powell. S’ensuit le premier solo de Tony avec un son de batterie musical
en diable (ce type sait accorder ses fûts !) et ses cymbales résonnent
comme dans une putain de cathédrale. Baptiste reprend à un tempo ralenti et
fait péter le cantabile du piano puis les trois reprennent le thème en tempo
moyen et l’affaire est pliée : c’est
simple, on jubile !
Suit
un très beau morceau (de Baptiste ?) sur lequel le piano chorusse sans
rythmique avant que ses deux compères ne le rejoignent pour une course
poursuite échevelée entre les harmonies et les phrases mélodiques que le piano
distille comme les foutues abeilles produisent leur putain de miel.
Et
le second set se termine sur « Full House », de Wes Montgomery, que
je n’avais jamais entendu joué par un trio de piano et qui sonne comme une
évidence tant il est entonné avec le cœur, les tripes et le cerveau (que j’appelle
« les tripes d’en haut » car je vous rappelle, lecteurs aimés — oui
toi Rodogune et toi Abderrachid, toi Gontran et toi Maria Mercedes de la Cruz, sans oublier le petit Jean-Baptiste qui kiffe
sa reum au premier rang du public du Sunside — que le cerveau, comme le cœur,
le foie, le pancreas, les 1 test1… est un foutu viscère qui palpite dans sa
boîte crânienne si on sait en faire un usage autre qu’intellotechnocratique de
mes 2).
Alors
voilà, le concert est fini et l’auditoire se disperse, ému et comblé. On va
raconter cette soirée mémorable à nos êtres chairs et on va le stocker dans
notre mémoire vive pour l’éternité en regrettant que cette soirée n’ait pas été
enregistrée.
Baptiste
Trotignon a re-suscité (ressuscité) le trio de ses 25 ans — Halle-fuckin’-lujah !
Blesse ze lord ! — (qui avait enregistré en 1999 un superbe
« Fluide » sur le label Naïve — voir la chronique de mon excellent
confrère Thierry Quénum dans les archives de Jazz Magazine) et c’est un
événement majeur
Il
eût fait beau voir que cela ne se sût point. C’est maintenant sur Blog 2 Garenne.
Merci
qui ?
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