vendredi 5 juillet 2019

le samedi, moi ça me dit…


Avant que ne commence la fièvre du samedi soir, savourez deux trios de piano magnifiques
Découvrir un pianiste dont on ignorait tout est souvent une source de réjouissance et parfois de déception. Surtout en trio : une formation qui pullule actuellement, et ce depuis déjà pas mal d’années.
Il existe plusieurs « écoles » de trio avec piano, les principales étant celle qui emboite le pas à celui de Bill Evans, l’autre regroupant les adeptes de McCoy Tyner. Mais bien sûr d’autres figures de proue de cette triade-reine ont depuis laissé leur marque, entre autres Herbie Hancock, Chick Corea, Keith Jarrett et plus récemment Brad Mehldau, le regretté EST, les très controversé Bad Plus et j’en passe… (Jason Moran, Robert Glasper, Vijay Iyer…).
Bill













McCoy






















Et les Français ? Me direz-vous. Bien sûr, de Martial Solal à Jean-Michel Pilc en passant par René Urtreger, Andy Emler ou le formidable autant que méconnu Philippe Le Baraillec, les pianistes hexagonaux ont aussi pratiqué le trio avec brio. 

Martiaaaaaal!



Philiiiiiiipe!








































On peut en dire autant des pianistes européens : ne citons que Joachim Kühn (en Allemagne, bien qu’il vive à Ibiza, le veinard !), le regretté Tete Montoliu (en Espagne), Marcin Wasilewski (en Pologne), Stefano Bollani (en Italie), Jan Lundgren (en Suède), Bela Szakcsi Lakatos (en Hongrie), Vassilis Tsabropoulos (en Grèce), Aydin Esen (en Turquie)… et Jean Pass (le frère cadet de Joe Pass).
Joachiiiiiiiim!







Aydiiiiiin!
 
Stefanoooooo!
















Ma dernière découverte (je ne sais plus comment le disque — pris au hasard dans ma pile « à écouter 1 2 C 4 si t’as rien d’autre à br… euh à foutre je veux dire » — est arrivé chez moi) est un dénommé Greg Burk. Après visite sur son site, il s’avère que le disque que j’ai écouté est loin d’être son premier et pas non plus son dernier. Ce n’est donc pas un débutant que j’acoustique, et je n’en avais jamais entendu parler ! Que font donc mes sbires tapis dans l’ombre aux quatre coins de la planète à repérer les talents émergeants  afin de m’informer de leur existence ? Je paye ces espions assez cher et ils ne font pas leur boulot : il va y avoir du dégraissage dans l’air. Non mais, c’est qui l’patron après tout ?
Mais calmons notre ire — quelque légitime qu’elle soit au demeurant — et retrouvons la noble sérénité qui nous caractérise et qui fait l’envie et l’admiration de tout un chacun. En fait, mais sbires ont beau être des clampins, je porte une part de responsabilité dans cette affaire : en effet, d’après son site, Greg Burk a joué voici quelque temps au Duc des Lombards, en plein centre de Paname ! Ai-je mal lu le programme de ce club à l’époque ? Le nom ne m’a-t-il rien évoqué et l’ai-je illico effacé de ma mémoire ? Je n’en sais fichtre rien ! Toujours est-il que j’ai découvert Greg Burk pas plus tard que tout à l’heure dans le grand salon de ma luxueuse demeure en sirotant un Caol Ila 25 ans d’âge qu’Helmut-Heinrich, mon majordome venait de me servir (le bougre connaît mes goûts comme sa poche et a l’oreille affutée comme l’opinel d’un castreur de buffles sri-lankais : ne m’a-t-il pas dit, en me servant mon whisky préféré : « Dites, chef, il est plutôt hachement bon harmoniquement parlant ce pianiste. Vous allez parler de lui dans votre blog ? » « Aber ja, klar, HH », lui répondis-je avant de plonger mes lèvres dans mon verre de Caol Ila et d’immerger derechef mes esgourdes dans le son de piano du dénommé GB !). 
 
J’avais écouté quelques disques de trios ces derniers jours dont un d’un musicien que je connais peu — Bill Charlap — et qui m’avait passablement déçu. Quoi ? Ce pianiste enregistre sur Impulse/Universal, le plus gros label de jazz in ze fuckin’ world, il est présenté comme le caïd des pianistes actuels de style classique et son disque — fort bien ficelé par ailleurs — sonne terriblement insipide, surtout si on le compare aux productions des maîtres dont il se veut le continuateur : entre autres Hank Jones et Tommy Flanagan. Ce Charlap est indéniablement un excellent technicien de l’instrument. Il est fort bien entouré des deux Washington (Peter (b) et Kenny (dm) —qui n’ont aucun lien de famille. Mais les standards qu’ils revisitent ensemble manquent cruellement de relief. Le tout sonne comme un produit policé, formaté pour un public de bobos à qui l’on propose une version clean et light du jazz classique en trio de piano.
Passons donc notre chemin et retournons vers les vrais détenteurs de l’art du piano de l’âge classique (de Teddy Wilson au dernier Hank Jones) ou tournons nous vers un de leurs plus légitimes héritiers, le grand Kenny Barron.
Teddyyyyyyyyy!














Haaaaaaank!
 Mais revenons à Greg Burk. Le répertoire de son disque « The Detroit Songbook » (paru sur le label danois Steeplechase) est entièrement composé de thèmes de sa plume, mais la plupart d’entre eux sonnent comme des standards. Tous sont joués en tempo medium ou lent, mais jamais l’ennui ne pointe son nez malgré la relative uniformité rythmique des thèmes. C’est que le toucher et le phrasé de Burk sont si variés, si subtils, si raffinés que l’oreille est en permanence sollicitée et se régale constamment. 
Burk pas beurk ;-)
 
Pourtant ce disque peut très bien être également écouté en musique de fond tant son atmosphère est homogène. Mais c’est justement cette possibilité de lecture à deux niveaux qui fait le prix de cet enregistrement : au même titre que le « Kind of Blue » de Miles Davis ou que nombre de disques de Stan Getz, par exemple, ce « Detroit Songbook » peut se faire discret aux oreilles de l’auditeur moyen qui cherche simplement à se détendre en écoutant une musique qui ne l’agressera pas. Mais il peut également maintenir l’auditeur averti et attentif en éveil d’un bout à l’autre de ses XX mn et pousser cet authentique fan de jazz à appuyer sur le bouton « replay » de son lecteur de CDs. Comment se fait-ce ? Comment un pianiste globalement peu connu peut-il avoir cette capacité à se fondre dans le paysage pour le commun des mortels comme à titiller les papilles auditives de l’amateur averti?
La clé de ce petit miracle se trouve dans les notes de pochette que Burk signe lui-même. Il y fait l’éloge de la scène de Detroit — qu’il fréquenta plusieurs années durant — et entre autres du public de l’ancienne Motor City qui, dit-il, lui a beaucoup appris sur l’art de peaufiner son art. Le disque est même dédié à ce public.
Burk a par la suite voyagé en Europe et réside actuellement  à Rome, où je vais le rencontrer courant septembre quand je me rendrai dans la capitale italienne rendre visite à mes grands amis Lori et Igor (Aïgor, pour les intimes et fans de Mel Brooks).
J’ai hâte d’interviewer ce pianiste si atypique, qui a de toute évidence travaillé à acquérir un style personnel en se détournant du clinquant ou de la superficialité qui caractérisent une bonne partie de la production actuelle.
Greg Burk a de ce fait trouvé quasi instantanément sa place parmi mon petit panthéon personnel de pianistes à chérir et à promouvoir. Il siège désormais non loin de « mes » Eddie Costa, Hank Jones, Alain Jean-Marie, Jimmy Rowles, Onaje Allan Gumbs, Marc Copland, Bill Carrothers… De cette cohorte de « petits maîtres » qui sont au moins aussi essentiels à la vie du jazz que les « grands » universellement reconnus : Jamal, Jarrett, Tatum, Evans, McCoy, Herbie, Solal … 
Eddie Costa, mort à 32 ans: y'a pas d'bon dieu!






















 




















Car ces « petits maîtres » sont comme les routes départementales ou les chemins de traverses qu’on a plaisir à emprunter quand on est las des autoroutes et des grandes nationales de la musique. Ils balisent de leur phrasé et de leur toucher le paysage jazzistique mondial et nous révèlent, au détour des chemins qu’ils empruntent, de verdoyants vallons, d’adorables collines, des criques encaissées dans un littoral sauvage…
Laisser ses oreilles muser parmi ces paysages variés est un des grands plaisirs de l’amateur de jazz.
Longue vie à ceux qui, comme Greg Burk, perpétuent cet art de l’écoute hors pistes !

L’autre CD qui a retenu mon attention est un live de Michel Petrucciani enregistré à Karlsruhe en 1988, mais seulement publié voici quelques mois.
 
On croit tout connaître de Petrucciani qui a durant toute sa carrière bénéficié d’une large couverture médiatique. On croit, et on se trompe ! Ce concert enregistré en compagnie des immenses Gary Peacock et Roy Haynes est tout simplement une tuerie ! Petrucciani est en grande forme et fait flèche de tout bois aussi bien sur ses propres compos que sur les standards qu’il a toujours eu plaisir à revisiter. Ce live miraculeux correspond à l’époque où parut sur Blue Note le CD « Michel Plays Petrucciani » sur lequel la rythmique était assurée soit par les mêmes Peacock et Haynes soit par Eddie Gomez et Al Foster. Le pianiste y interprète uniquement des thèmes de sa composition que l’on retrouve en partie au programme du concert de Karlsruhe. Mais la présence d’un public et l’inclusion de standards au répertoire change tout. Si « Michel Plays Petrucciani », enregistré en studio, est un bon disque, « One Night in Karlsruhe » est un excellent CD. De ceux qu’on remettra souvent sur sa platine et qu’on aura à cœur de faire découvrir à ses bons potes.
Micheeeeeeeeel! (comme tu nous manques, mec!)
Le clé de cette réussite est non seulement la virtuosité évidente des trois protagonistes, mais surtout leur générosité, particulièrement celle du pianiste. Petrucciani n’a jamais été avare de son temps ni de son énergie. Je l’ai vu une fois, au festival Jazz sous les pommiers » (dans ma Normandie natale : coco—fuckin’—rico !) donner deux concerts au lieu d’un au cours d’une après midi pour répondre à la demande d’un public archi nombreux qui ne pouvait pas avoir accès au seul concert prévu.
Quand on connaît la souffrance physique que représentait le fait de jouer sur scène pour Petrucciani du fait de sa « maladie des os de verre », on applaudit des deux mains ce petit homme et grand pianiste qui croquait la vie à belles dents, comme conscient du fait qu’il n’avait pas un long temps à passer sur cette terre.
Merci, Michel, pour ton courage et ta générosité. Et que ceux qui n’ont pas eu la chance de te voir jouer sur scène se repaissent sans modération de ce magnifique live à Karlsruhe (« le repos de Charles », en teuton) qu’a exhumé un label allemand.
Max Granvil

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