Youn Sun Nah,
c’est ma tendresse ! Alors ne vous étonnez pas si je l’encense (non je
n’ai pas apporté mes bâtonnets d’encens au concert, faut pas exagérer quand
m’aime !). Par contre je suis venu dès l’après-midi à la balance-son,
histoire de la voir/entendre un peu avant que ne commence la cérémonie — un
concert de Youn est toujours une sorte de cérémonie, à la fois païenne et
spirituelle, recueillie et conviviale, bouleversante et renversante. Cette
femme exsude la beauté asiatique et occidentale. Elle est un confluent, une
synthèse magnifiquement réussie et affinée au fil des ans et je n’arrive pas à
en dire le moindre mal car j’ai beau la connaître bien depuis des années elle
réussit toujours à me surprendre, comme elle enchante tous les publics devant
lesquels je l’ai vue chanter. Je discute aussi un peu avec Axel Matignon, son
manager/psychologue/confident, qui est un vieux pote et qui assure la
logistique avec efficacité et discrétion depuis des années. Bref, c’est la
famille !
Avant
les embrassades avec Miss Youn (on ne s’est pas vus depuis quelques années car
elle a fait une pause dans sa carrière et moi itou), qui vois-je sur scène
derrière sa batterie et pas loin de sa contrebasse ? My main man Rémi Vignolo — qui joue rarement des deux et qui est le
seul en France à faire ça, à ma connaissance — ainsi qu’un guitariste-pianiste
dont j’ignorais jusqu’à l’existence : Tomek Miernowski, né en Pologne et
vivant à New York depuis son enfance. En fait le groupe — un trio fort atypique
— n’est pas celui annoncé dans le programme et c’est aussi bien comme ça parce
que Rémi Vignolo à la batterie ET à la basse et ce Tomek qui se chauffait les
doigts pendant la balance en jouant du Bach à la guitare acoustique PLUS Youn,
ça promet dès le soundcheck d’être une foutue tuerie !
On
cause et on grignote dans les loges avant le concert. Tout le monde est très
relax et à la fois très concentré. Ils sont un peu fatigués car ils reviennent
d’un festival en Tchéquie et ils ont voyagé pendant toute la journée, mais ils
sont en pleine forme et on sent que ça va pulser en force et en douceur.
Sur
un vamp de basse en pizzicato et des arpèges de piano la voix de Youn s’élève,
lente, magnifique dès les premières notes avec un phrasé qui laisse une grande
place au silence et la magie s’installe
dès les premières notes de cette mélodie qui dure à peine quelques minutes.
Puis Rémi s’installe à la batterie, aux balais (j’allais écrire
« ballets » car il fait rapidement danser ses baguettes puis ses
mailloches sur les toms et les cymbales tandis que la voix s’enfle sur un
nouveau morceau très court également. Suit un thème en scat souple et vivace
que la batterie accompagne d‘une pulsation mélodique d’une tonicité
polyrythmique subtile tandis que la guitare se lance dans un solo acoustique
splendide, proche de la musique baroque. Ces deux instrumentistes sont
clairement de grands musiciens, de grands mélodistes et Youn les écoute en
silence avant de reprendre son scat mêlé d’envolées dans les graves puis les
aigus, jamais criards. Cette chanteuse sait décidément organiser la musique et
jouer d’une tessiture d’une splendide étendue sans forcer, sans jamais recourir
à l’effet gratuit. Le public fond et applaudit à tout rompre, l’ovationne,
conquis au bout de quelques minutes de ce qu’il faut bien appeler une cérémonie
(je sais, je me répète, mais pas eux).
D’ailleurs
Rémi empoigne de nouveau sa contrebasse pour un solo absolu grave et profond
que ses deux comparses observent avec attention. Cette écoute palpable sur
scène ce — osons le terme — recueillement sera l’un des fils conducteurs d’une
prestation de toute beauté, dont on n’en finirait pas de détailler les
méandres, les sinuosités, les nuances. Youn est maintenant seule avec la basse
de Rémi — Tomek a momentanément quitté la scène — et combien d’autres
chanteuses osent le duo voix/basse ? Sheila Jordan, Karin Krog, Jen Shyu…
Une
ballade somptueuse suit maintenant avec le clavier et les percussions discrètes
de Rémy. La voix tantôt ample tantôt proche du murmure module les paroles en
anglais de la chanson qui s’installe dans la durée, telle un fleuve majestueux
dans son lit et l’on écoute médusé cette coulée vocale tandis que la batterie
fait monter la tension sur les arpèges délicats de la guitare égrenant de
subtiles harmonies. Je me suis un moment
éloigné de la scène pour discuter avec Axel le manager, tout en écoutant d’une
oreille la cérémonie se dérouler et les morceaux d’une grande variété se
succéder : thèmes de Youn, de Leonard Cohen, de Marvin Gaye, de Michel
Legrand… Mais d’un coup je suis « convoqué » dans la salle :
Youn entonne une chanson rock au maximum de sa puissance dans des growls
telluriques pendant que ses deux musiciens « bucheronnent » une
rythmique binaire énorme et intelligente. Ca déménage grave, c’est une orgie
musicale dont la dramaturgie fait léviter l’auditoire et Youn est la grande
prêtresse de cette tuerie mélodico-rythmique, la « sorcière » de ce
sabbat sonique. Puis c’est le rappel tendrement mélodique en duo avec la
guitare acoustique. Cette chanteuse est une magicienne, une Maria Callas, une Sarah
Vaughan, une Leontyne Price, une Dianne Reeves… du jazz ouvert — et pas que. Si
elle joue près de chez vous courez l’entendre. Ses concerts sont une splendide
thérapie humaine autant que musicale et je vais de ce pas faire usage de mes
relations en haut lieu (car j’ai le bras long, savez-vous, derrière mes airs
passe-partout) pour faire en sorte que ses concerts soient remboursés par la
sécurité sociale et mettent la moitié des psys de l’Hexagone au chômage !
Max
Granvil
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire