jeudi 20 juin 2019

connaissez-vous Franco d'Andrea?


Connaissez-vous Franco D’Andrea ?


A cette question, la réponse la plus vraisemblable est « Non ».
Et qui pourrait vous en vouloir ? Franco ne joue quasiment jamais en France alors qu’il est un des piliers incontournables du jazz en Italie, couvert de distinctions dont celle de « musicien de l’année » qu’il reçut une dizaine de fois. C’est donc — et ce n’est pas la première fois que je fais ce reproche — vers les organisateurs de spectacles musicaux hexagonaux qu’il faut se retourner pour leur demander pourquoi ils ne programment quasiment jamais ce géant du piano jazz européen.
Voici une dizaine d’années, allant assister à la finale du concours de piano Martial Solal à la Maison de la Radio à Paris, je tombe sur Franco dans le  hall de l’immeuble.
Moi : Ciao Franco, qu’est ce que tu fais ici ? Je ne me souviens pas d’avoir vu annoncé un de tes concerts.
Franco : Non, je ne joue pas : je suis membre du jury du concours qu’organise Martial.
Moi : Ma, cazzo (mais putain ! en VF), ne me dis pas que personne ne t’a proposé de profiter de cette occasion pour te faire jouer à Paris.
Franco : Ma no : apparemment personne n’y a pensé.

On pourra arguer que si Franco d’Andrea avait un agent artistique français adepte du marketing agressif il aurait sans doute trouvé moyen de jouer dans la capitale. Mais Franco n’est pas du genre à s’entourer d’une armada de commerciaux. Si on avait été dans les années 50 ou 60, il aurait sans aucun doute trouvé le moyen d’aller faire le bœuf le soir dans un des clubs de la capitale après avoir siégé dans le jury du concours Martial Solal pendant la journée. Mais où pratique-t-on encore quotidiennement le bel exercice du bœuf, de la jam session, à Paris aujourd’hui ?
Dans les clubs qui s’improvisent en marge de nombreux festivals, en province, les bœufs fleurissent pendant la durée de la manifestation festive et on peut y voir des stars se mêler aux musiciens locaux après s’être produits sur la grande scène. Un musicien aussi reconnu aujourd’hui que le formidable altiste Baptiste Herbin a ainsi fait ses débuts lors des bœufs qui concluaient les soirées du festival Jazz en tête à Clermont-Ferrand, organisé il est vrai par Xavier Felgeyrolles, un des promoteurs du jazz le plus vivace et qui maintient son cap artistique en ne tombant jamais dans le travers du formatage à la mode.
Par contre des festivals parisiens comme Banlieues Bleues, Sons d’Hiver, le Festival de Jazz de Paris (au parc Floral de Vincennes) ou Jazz à la Villette n’ont jamais suscité l’organisation de bœufs after hours. Ces grands festivals sont parfaitement cadrés  sur le plan de la programmation et les musiciens qui s’y produisent rentrent tranquillement se coucher à l’hôtel après leurs concerts. « Paris est une fête », a-t-on abondamment entendu et lu après l’attentat du Bataclan. Une fête ? Mon œil ! Le Paris du jazz d’aujourd’hui est bien tristounet par rapport à celui où les Jazz Messengers mettaient le  feu à l’Olympia, où Don Cherry enflammait le Chat qui pèche, où l’on pouvait faire le bœuf en club avec Bud Powell, où l’Art Ensemble of Chicago faisait le plein au Centre américain…

Mais revenons à notre pianiste italien. Paradoxalement, bien qu’il soit leur aîné, il est nettement moins connu chez nous que ses compatriotes Enrico Pieranunzi, Antonio Farao ou Stefano Bollani (je mets à part Giovanni Mirabassi qui réside en France).
Certes Franco est moins doué qu’eux trois pour faire sa propre publicité, mais ne pourrait-on pas attendre des responsables de clubs, de salles de spectacles ou de festivals un minimum de curiosité (et de culture !) qui les amènerait à aller quérir Franco dans son fief transalpin pour le présenter sur nos scènes hexagonales ?
Car Franco est loin d’être un musicien casanier, replié sur la jazzosphère de son pays natal. On l’a vu jadis jouer et enregistrer avec des musiciens américains tels que Lee Konitz et Dave Liebman (sans compter les innombrables « Américains de passage » qu’il a eu l’occasion d’accompagner lors de leurs séjours en Italie). Dans les années 80 il a formé un trio avec le bassiste Mark Helias et le batteur Barry Altschul et un autre avec le Hollandais Hein van de Geyn (b) et « notre » Aldo Romano. Il a également fait partie du groupe Quatre complété par rien moins qu’Enrico Rava (tp), Miroslav Vitous (b) et « notre » Daniel Humair. Plus récemment on a pu le voir sur scène en compagnie du batteur batave vétéran Han Bennink et du trompettiste américain Dave Douglas… on ne fait guère mieux en matière de carte de visite internationale !


Depuis quelques lustres, du fait de la frilosité des programmateurs français, Franco s’est certes quelque peu replié sur son pré carré italien. Mais à près de 80 ans (il est né en 1941 à Merano) il y déploie une activité scénique et discographique intense dont le label Parco della Musica rend heureusement compte.
Rien que ces cinq dernières années on a ainsi vu paraître deux doubles CDs de Franco en trio, deux autres en octet (avec un spécialiste des effets électroniques), et tout récemment un double CD en solo. Même s’il n’est pas très bien distribué dans l’hexagone, aucun professionnel du jazz n’ignore l’existence de ce label italien et tous peuvent aller s’informer sur son site web du fait que Franco d’Andrea est toujours bien vivant et au mieux de sa forme. Décidément la curiosité de ces décideurs français… mais je crains de me répéter et de lasser mes lecteurs. 


En fait la cause de l’ostracisme dont Franco est victime réside peut être ailleurs. En effet, un peu comme celui à qui on l’a souvent comparé en France, Martial Solal — son aîné d près de trois lustres —, Franco est difficile à classer. Grand virtuose des 88 touches, il touche à tous les jazz, du plus traditionnel — revisité en quartet avec la clarinette de Daniele  d’Agario, le trombone de Mauro Ottolini (deux de ses plus fréquents partenaires) et la caisse claire d’Han Bennink — à l’inclusion de l’électronique au sein de son octet. On l’a vu — je l’ai dit plus haut — s’acoquiner avec des tenants du free jazz (mais pas que) tels que Barry Altschul et Mark Helias qui ont entre autres joué avec Anthony Braxton, par exemple. Franco a également consacré un disque en solo à la musique de Thelonious Monk — dont il est un grand spécialiste — et pas moins de trois en trio à celle de Duke Ellington, une autre de ses influences majeures. Alors où situer ce musicien curieux de tout dans un paysage jazzistique globalement bien sage ?
Malgré plus de 150 disques à son actif au fil de sa carrière, Franco reste scandaleusement méconnu de notre côté des Alpes, une frontière infranchissable à ce qu’il semblerait !
Max Granvil

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